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Le Corps conscient, du Dr Olivier Vuagniaux : une place centrale au corps

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Le Corps conscient, du Dr Olivier Vuagniaux : une place centrale au corps

Psychiatre à Neuchâtel, le Dr Olivier Vuagniaux pratique les psychothérapies corporelle et psychédélique. Ses livres Le Corps conscient, tomes 1 et 2, sont le fruit d’un travail de plus de trente ans de pratique et d’une forme de psychothérapie orientée sur la conscience du corps. Il fait une approche innovante de la compréhension de nos fonctionnements psychologiques. 

Contenu proposé par À plumes égales.

Créé le 15.06.2023 à 18h17

Une vie de recherche 

Après ses études de médecine à l’université de Genève, il s’intéresse aux approches alternatives (homéopathie, auriculo-médecine…) et découvre l’hypnose ericksonienne, dont il suit une formation. La découverte de l’inconscient lui ouvre la voie de la psychiatrie. C’est alors qu’il rencontre Muriel Sarkissoff, femme du Dr Jean Sarkissoff, médecin psychanalyste et inventeur d’une psychothérapie corporelle. Il poursuit cette formation pendant seize ans. Après son cursus, il s’installe dans son cabinet en 1994, avec l’hypnose et la « psychanalyse active » comme outils thérapeutiques. Au cœur de ses recherches, il y a l’exploration du psychisme humain. Vaste entreprise ! Au fur et à mesure de son parcours, il tend de plus en plus vers la notion de « conscience corporelle », ce qui le mène à se former à la médecine chinoise et au chamanisme, notamment, puis à la « psychiatrie psychédélique » (Certaines substances sont autorisées en Suisse et peuvent être utilisées à titre médical.) Son approche thérapeutique cherche à unifier les consciences corporelle, psychologique et spirituelle. 

Le Corps conscient… Du Corps à cœur (tome 1) à La voie du corps (tome 2)

Il s’agit bien d’une révolution psychologique par le corps et pour le corps. En effet, l’approche du Dr Vuagniaux donne au corps une place centrale dans la construction du Moi psychologique et de nos rapports au monde, aux autres et à nous-mêmes. La conscience corporelle se place ainsi au centre de nos vies, permettant d’explorer nos souffrances individuelles et collectives. C’est par le toucher, notamment du ventre, que se déroule l’affaire. Dans ses deux tomes du Corps conscient, le Dr Vuagniaux s’inspire de ses séances avec des exemples précis, des histoires totalement incarnées, tel un dialogue thérapeutique, rendant la lecture fluide et évidente. Il invite à l’éveil de cette conscience corporelle, sensible, essentielle, et présente ses outils pour œuvrer à la guérison. « Le Corps conscient est un manifeste qui cherche à donner la parole aux sensations venues du corps, ce grand oublié de l’aventure psychique humaine », explique le Dr Vuagniaux. Il invite également à une interprétation des rêves, des contes et des mythes, dont celui d’Œdipe, totalement revisité. 

Dans le deuxième tome, particulièrement, il poursuit son exploration du corps et de sa conscience, avec des sujets sensibles, et son regard toujours innovant sur la spiritualité, la transmission transgénérationnelle et même « l’écologie corporelle ». Le Dr Vuagniaux explique : « La réhabilitation de la conscience corporelle, et du rapport que nous en avons, ouvre l’accès à une autre dimension. Celle-ci est charnelle, car au cœur de notre ventre (le deuxième cerveau) et de nos cellules se découvre une conscience première et primitive qui fonde une spiritualité naturelle, non mentale et issue d’une matière qui se fait lumière. Le corps devient alors une voie. » Ainsi, son processus thérapeutique vise à découvrir un « espace mythologique » corporel, qui n’est autre que le lieu d’une « construction d’un monde intérieur issu du corps et non du mental ». 

Notre rapport au monde 

Le Dr Vuagniaux poursuit avec notre rapport actuel au monde : « Nous sommes tellement bloqués, identifiés dans notre mental. Nous avons l’héritage de Descartes avec le “je pense, donc je suis”. Sachant que ce n’était pas du tout la seule dimension de Descartes, mais c’est celle qui est restée ! Dans une société qui est de plus en plus virtuelle et connectée au mental, le corps est de plus en plus presque écarté, ne serait-ce que dans le lien. Or, ce rapport au corps est directement dans le prolongement du rapport que nous avons avec la matière et avec la planète. Voyez la dissociation dans laquelle on est… C’est vraiment le problème du mental, cette dissociation. 

Ce que j’ouvre par rapport à ça, et ce qui est intéressant avec les thérapies psychédéliques notamment, c’est que cela permet justement au mental de sortir de ce que l’on appelle “le mode de réseau de mode par défaut”. C’est une expérience qui permet, quand elle est accompagnée dans un cadre thérapeutique, de sortir du mental et d’avoir accès à une autre dimension de conscience, où les gens font une expérience de perception de l’être. Je pense que, culturellement, dans nos civilisations, nous faisons l’état des lieux de la séparation et de la rupture, d’une forme d’arrogance, de prétention scientifique de contrôler, de maîtriser et de croire qu’avec un mental qui est capable de si peu, nous aurions une totale capacité d’intégration. Or, certaines recherches ont montré que, au niveau neuroscientifique, le mental est capable de capter à peu près 3000 bits d’informations à la seconde ; alors que l’inconscient capte 50 milliards d’informations à la seconde ! La différence est absolument vertigineuse. Voilà notre vision du monde mental conscient : elle est extrêmement réductrice… »


La puissance des mots 

Le Dr Vuagniaux évoque également l’importance des mots : « Les mots eux-mêmes ont une puissance d’information, une puissance de mémoire de l’origine, et de comment notre cerveau la construit. Il y a beaucoup de mots que l’on utilise dans la définition des troubles psychologiques, et notamment le mot souffrance lui-même. Son étymologie vient de deux mots latins : le préfixe sub- qui signifie “en dessous” et le verbe ferre, qui signifie “porter”. Le mot implique donc l’image d’un support, qui “supporte tout ce qui se trouve dessous”. Cela veut dire quoi, “porter dessous” ? Qu’est-ce que nous refusons justement de mettre en conscience ? Nous sommes tous comme des bateaux avec les cales remplies de choses qu’on a à porter dessous, que nous ne voulons pas mettre à jour. Et je pense que notre humanité, depuis des siècles et des siècles, arrive à une sorte de saturation des charges transgénérationnelles, et surtout au refus du corps. Et tous ces traumas que nous n’avons jamais mis au jour, que nous avons toujours portés “dessous”, restent une souffrance intérieure. » 

Le cerveau ventral des sensations 

En conclusion, le Dr Vuagniaux raconte : « C’est cela qui est intéressant et qui peut donner les éléments d’une telle approche de thérapie organique, viscérale : c’est le contact avec le système nerveux entérique (1) ; le ventre, c’est le corps, mais c’est aussi le cerveau du ventre. Il y a énormément de recherches maintenant qui sont faites là-dessus, entre autres, avec le microbiote. Et les interactions entre le système immunitaire, le microbiote et le système nerveux entérique sont très importantes. Dans nos sociétés, nous sommes énormément dans le mental, alors que ce cerveau ventral a une place énorme dans notre construction, et ce dès le vécu intra-utérin. Il faut savoir aussi que le cerveau du ventre est vraiment le cerveau du sixième sens, celui du feeling, et non pas des émotions. La plupart du temps, les gens pensent que c’est le cerveau des émotions, alors que les émotion,s c’est encore quelque chose qui est sécrété dans notre cerveau cortical, dans les structures limbique, hippocampe… ! Là, nous parlons du cerveau du senti, des sensations. La construction de notre monde intérieur est issue du corps et non plus du mental. C’est fondamental de revenir à quelque chose de beaucoup plus archaïque, plus pur : une sorte de vérité intérieure. Nous pouvons alors sentir chez les gens ces espaces qui se déploient à l’intérieur d’eux-mêmes et qui deviennent des points d’appui et de ressources, leur monde intérieur se développe, comme des paysages ou des “présences” intérieures. Et quand je parle d’espace “mythologique”, il s’agit vraiment d’une dynamique d’intériorisation, pour l’homme comme pour la femme. Un dialogue intérieur qui s’unifie petit à petit à l’intérieur de nous. » 

 

1. Le système nerveux entérique, qualifié de second cerveau, est la partie du système nerveux autonome qui contrôle le système digestif. Il est composé de plus de 100 millions de neurones. 

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