Les impacts de la guerre

Renaissance culturelle. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier la dynamique à l'œuvre en Ukraine avant le début du conflit armé. Dans l'édition, cette renaissance s'est incarnée dans la création, en 2016, de l'Institut du livre ukrainien (Ukrainian Book Institute, UBI) pour « encourager l'édition, promouvoir la lecture en Ukraine et la littérature ukrainienne dans le monde ». Si des défis pesaient sur le marché national, les professionnels ukrainiens menaient des actions depuis plusieurs années pour s'ouvrir à l'international.

1 500 éditeurs

Avant la guerre, l'Ukraine comptait environ 1 500 éditeurs dont l'activité principale provenait de la publication de livres. Selon une étude menée conjointement par l'UBI et Livres Canada Books, l'édition grand public a enregistré un chiffre d'affaires de 151,1 millions de dollars canadiens (110,3 millions d'euros) en 2019. Cinq éditeurs dominaient le marché : Family Leisure Club (KSD), Ranok Publishing House, Folio Publishers, KM-Books Publishing Group et Crystal Book Publishing House. Trois des plus grandes imprimeries du pays étaient situées à Kharkiv, l'une des premières cibles de Vladimir Poutine.

En 2018, le pays comptabilisait 222 librairies générales « soit une librairie pour 165 000 personnes », souligne l'étude d'UBI et Livres Canada Books. Il faut y ajouter 131 librairies spécialisées et cinq kiosques à livres. En Ukraine, la vente de livres s'effectuait aussi sur les marchés en plein air, dans les supermarchés et en ligne - soit par le site de vente des éditeurs, soit par des librairies numériques dont la plus connue est Yakaboo. Un certain nombre d'éditeurs possédaient des boutiques pour compenser les forts dysfonctionnements du réseau de distribution. L'Ukraine comptait aussi 15 369 bibliothèques. En 30 ans, le pays a perdu 10 000 établissements de lecture publique, faute d'investissements publics.

Depuis la révolution proeuropéenne de Maïdan en 2014, l'Ukraine a cherché à accroître son indépendance vis-à-vis de la Russie. L'édition n'y a pas fait exception. En décembre 2016, une loi a restreint l'importation de « produits étrangers proposant un contenu anti-ukrainien ». Jusqu'alors, les publications russes dominaient le marché : elles représentaient 75 % des titres publiés en 2013. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, l'Ukraine a refusé d'importer 4 274 titres provenant de Russie, permettant un essor des publications ukrainiennes.

Par ailleurs, le marché ukrainien est habitué aux titres étrangers. Selon une étude menée en 2018 par le média professionnel ukrainien Chytomo, les traductions représentaient 75 % des publications. Parmi les langues les plus populaires selon les éditeurs interrogés : l'anglais (67 %), le français (38 %) et l'allemand (34 %).

Une ouverture sur le monde

Tout en s'éloignant de son voisin russe, l'Ukraine a cherché à développer son activité à l'international, en étant notamment présente sur les foires professionnelles. En 2020, le pays a aussi lancé le programme « Ukrainian Litterature : Rights Not ! », financé par l'Union européenne, pour attirer les éditeurs étrangers. Selon les professionnels, la France constitue le 6e marché le plus attractif derrière la Pologne, l'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Ces efforts ont porté leurs fruits. Entre 2013 et 2019, 547 cessions de droits ont été signées, contre seulement 354 entre 1991 et 2012 ! Parmi les principaux acheteurs de droits : la Bulgarie (103 titres), la Chine (75) et la Pologne (32). La France se classe à la 14e position avec 13 contrats signés durant cette période, selon l'UBI.

De leur côté, les éditeurs français ont publié 54 titres traduits de l'ukrainien entre 2000 et 2022, selon Electre Data Services. Trois des cinq auteurs contemporains les plus connus en Ukraine, selon l'étude de Chytomo, ont été publiés en France : Lina Kostenko - dont Journal d'un fou ukrainien est paru en février chez L'Harmattan, traduit par Nikol Dziub et Sonia Philonenko -, Serhiy Jadan et Yuri Andrukhovych dont les œuvres ont été éditées par Noir sur Blanc, traduites par Iryna Dmytrychyn ou par Maria Malanchuk. C. L.

19.05 2022

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