6 septembre > Essai Israël > Yuval Noah Harari

L’auteur le rappelle, il est difficile de prévoir l’avenir. Alors, il préfère l’imaginer à la manière d’un Philip K. Dick. En s’appuyant sur les innovations technologiques déjà en place, il déroule le schéma d’une espèce humaine qui aurait réussi à vaincre la mort. Ces riches qui auraient accès à ces nouveautés seraient quasiment protégés de tout, sauf d’eux-mêmes. Ils deviendraient des sortes de dieux, mais ils n’en seraient pas plus sages.

Fort du succès planétaire de Sapiens (Albin Michel, 2015) dans lequel il retraçait le passé de l’homme, il restait à l’historien (Université hébraïque de Jérusalem) de traiter de son avenir comme l’avait fait Jacques Attali (Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006). Il faut avouer que Yuval Noah Harari est très fort dans le genre alchimiste qui transforme le plomb universitaire en or éditorial. On retrouve donc dans Homo deus les ingrédients de cette potion magique : une lecture captivante pour une perspective vertigineuse qui mêle la réflexion à l’anecdote.

Dans cet essai, qui figure aux Etats-Unis sur la liste des best-sellers du New York Times, Harari présente le scénario d’un sapiens qui se rêve deus pour mieux nous alerter sur la manière dont nous confions notre vie aux sorciers milliardaires de la Silicon Valley. Dans cette vaste hypothèse transhumaniste, nous apparaissons comme des mutants de Panurge, satisfaits de ne plus avoir à prendre de décisions grâce à nos smartphones, jusqu’à renoncer à notre libre arbitre. Dans ce monde connecté, même les livres numériques nous lisent pendant que nous les lisons. Ils savent où nous nous arrêtons, les passages que nous sautons, et en tirent des conclusions sur nos envies pour nous vendre ce que nous sommes supposés aimer.

Le récit clair et documenté incite à la circonspection envers cette machine techno-humaniste destinée à produire de la santé, de la vie longue et des plaisirs sans fin pour quelques nantis "augmentés". En le lisant, on songe aux nouvelles de La trilogie des machines de Cesare Pavese (Mille et une nuits, 1994) qui renversait la perspective futuriste. "Désormais il ne se sentait plus qu’une intelligence mécanique condamnée à commander une puissance encore plus aveugle."

L’essai d’Harari est d’ailleurs curieux. Il faut attendre la fin pour en saisir le retournement. Car pendant les quelque 400 pages, non sans fascination, il nous montre le monde tel qu’il pourrait bien advenir avec les algorithmes pour ligne de conduite et les gênes pour le confort. En étant venu à bout de ses trois ennemis (la guerre, la maladie et la faim), ce nouveau "surhomme" pourrait bien éliminer sapiens en créant une nouvelle humanité où certains posséderaient des facultés quasi divines au détriment des inutiles dépassés par les robots. Cette "brève histoire de l’avenir" fait le constat de la vitesse inouïe avec laquelle les technologies bouleversent nos vies. C’est aussi une réflexion sur nous-mêmes, sur notre histoire et sur la manière dont nous envisageons la suite. Avec de vifs débats en perspective. Laurent Lemire

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