12 octobre > Essais Etats-Unis > Joseph Mitchell et Thomas Kunkel

De Joseph Mitchell, on ne connaissait jusqu’alors que deux livres (le merveilleux Le secret de Joe Gould, réédité chez Autrement en 2013, et Le merveilleux saloon de McSorley, Diaphanes, 2016) et sa réputation. Celle d’être l’un des papes américains de la "non novel fiction" en même temps qu’une légende du New Yorker. C’est assez dire combien est importante la publication aujourd’hui, grâce aux éditions du Sous-sol, non seulement de ce qui semble être considéré comme son chef-d’œuvre, Le fond du port, mais aussi de L’homme aux portraits, la biographie aussi complète que profondément empathique que lui a consacrée l’essayiste Thomas Kunkel.

Il y a un mystère Joseph Mitchell, que cette biographie contribue grandement à dissiper. C’est d’abord celui d’un homme qui après la parution de son Joe Gould en 1964 et jusqu’à sa mort trente-deux ans plus tard, bien qu’il se rendît chaque matin à son bureau du New Yorker et s’assît devant sa machine à écrire, ne publia plus une ligne. Comme si son exigence en matière littéraire avait fini par le rattraper. C’est également l’énigme de savoir comment cet enfant d’un riche planteur de tabac et de coton de Caroline du Nord a pu, ses 20 ans venus, tourner ainsi le dos à la tradition séculaire de sa famille pour se réinventer en piéton de New York, finissant par se confondre à sa ville d’adoption, par l’incarner comme le Leopold Bloom de Joyce, son écrivain préféré, incarne Dublin.

Pour mieux le comprendre, et comprendre aussi pourquoi des écrivains tels que Martin Amis, Salman Rushdie ou Paul Auster tiennent Mitchell comme l’un des contemporains capitaux, il faut lire Le fond du port, suite de récits et de reportages qui seraient aussi comme un art poétique. On y suit le journaliste partout, sur les quais, sur les marchés, parmi les mafieux ou les héritiers des fondateurs néerlandais, dans les bars oubliés du vieux Manhattan. On le voit scruter ce monde d’antan qui fut indéfectiblement le sien et s’apprête à basculer dans l’oubli. Une mélancolie de plus en plus puissante s’échappe de ces pages et finit par les recouvrir tout à fait. O. M.

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