C’est fou ce que peut déclencher un soutien-gorge, en l’occurrence un modèle "Cœur croisé de couleur rouge", abandonné sur une table de chevet dans la chambre d’un couple. Dans ce premier roman écrit en français, Pilar Pujadas, née à Barcelone mais installée depuis de nombreuses années à Bruxelles, a habilement troussé des histoires emboîtées, inspirées par ce sous-vêtement plein d’ambiguïté.
C’est Déborah Gonzalez, une femme de ménage, qui tombe dessus la première alors qu’elle travaille seule dans l’appartement de Laurent et Béatrice, logement qu’elle a connu alors qu’il était encore celui de Laurent et Eve. L’employée de maison n’aime pas beaucoup la nouvelle habitante des lieux qu’elle juge "farouche et peu sociable". Surtout, elle n’a pas apprécié que sa nouvelle patronne, dès leur première rencontre, regarde avec une insistance un peu méprisante son décolleté. Cependant, le dessous négligemment abandonné ne lui rappelle pas seulement ce désagréable premier contact mais la projette aussi dans un épisode trouble de son passé. Puis, agissant comme un révélateur de souvenirs, un activateur de flash-back, le soutien-gorge va tour à tour émouvoir d’autres femmes qui se succèdent dans l’appartement. La mère du propriétaire, la voisine (qui a eu les mensurations d’un mannequin de Victoria’s Secret), l’ex-compagne, toutes possèdent les clés des lieux et ont ainsi accès à l’intimité des absents. Et même si les motivations de leur présence sont bien différentes, elles partagent une certaine animosité à l’égard de celle qui est entrée en scène la dernière : la froide Béatrice.
Les apparences sont trompeuses, le soutien-gorge réserve quelques surprises. Et les enjeux qui ont à voir avec la féminité, la charge symbolique des seins, sont moins frivoles qu’il n’y paraît. Erotisme et fétichisme bien sûr, mais aussi honte, humiliation, jalousie, pudeur sont associées à cet objet qui habille et déshabille, masque et démasque et auquel cette tragi-comédie donne le premier rôle.
Véronique Rossignol