Pour être efficace, la reprise ou la cession d'une maison ou librairie indépendante nécessite d'être soigneusement préparée. Les professionnels et experts interrogés pointent des questionnements et étapes primordiales à respecter au cours du processus.
1.Que vendre ?
La question est simple. Mais sa réponse complexe tant il existe de manières de transmettre son entreprise. Dans le cas des maisons d'édition, vendre une entreprise est par exemple différent de la cession d'une association. « Qui est propriétaire du fonds d'une maison d'édition associative ? Pas forcément la personne qui l'a créée. Mais l'association elle-même, explique le consultant Laurent Delabouglise. Comme tout bien appartenant à une association, ce fonds peut être valorisé mais non monnayable », poursuit-il. Et même dans une entreprise plus classique, peut-on transmettre des parts sociales, vendre l'intégralité de l'entreprise, céder une gérance ? Tout dépend de la forme de la société. De leur côté, les libraires peuvent procéder à une vente du fonds de commerce ou, là aussi, à celle de parts sociales. « Moins courant que le rachat du fonds de commerce, la seconde option est souvent une voie à privilégier pour les reprises en interne puisque ça peut être progressif et moins cher, avec l'avantage de récupérer l'intégralité des contrats et droits acquis par le cédant », indique Olivier Pennaneac'h, chargé de mission Économie à l'Agence du livre Provence-Alpes-Côte d'Azur.
2. Se faire accompagner
Outre les traditionnels avocats et experts comptables, des ressources sont à disposition des professionnels pour gérer au mieux les différentes étapes de cession et de reprise. À commencer par les agences régionales du livre, les directions régionales des Affaires culturelles ou des cabinets de conseil spécialisés. « Ils portent un autre regard sur le projet et permettent de faire une sorte d'audit pour s'assurer que celui-ci est viable », estime Pierre Lenganey, repreneur de la librairie Le Passage à Alençon et de la maison jeunesse Møtus. L'accompagnement peut aussi être financier. Un arsenal de dispositifs, essentiellement portés par le Centre national du livre (CNL) et l'Association pour le développement de la librairie de création (Adelc), s'est par exemple construit au fil des ans pour soutenir la reprise des librairies indépendantes. « Que ce soit à travers notre dispositif d'aide à l'investissement, progressivement consolidé, le fonds dédié constitué en 2008 et confié à l'Adelc, ou encore par le renforcement des aides en région, nous sommes armés pour concrétiser des projets de reprises », souligne le CNL, dont l'enveloppe annuelle de l'aide à l'investissement tourne autour de 2,5 millions d'euros, prêts à taux zéro (2/3 des aides) et subventions (1/3) confondus. Dans certains cas, ces apports cumulés peuvent représenter jusqu'à plus de 40 % des financements à mobiliser. « Sans ces soutiens, l'essentiel des dossiers de reprise et de transmission de librairies ne se ferait pas », affirme Guillaume Husson du Syndicat de la librairie française.
3.Évaluer le capital symbolique
Des méthodes de calcul existent pour mesurer la valeur économique d'une entreprise. Ce qui ne rend pas nécessairement l'exercice facile. Pour les sociétés du livre, cette valeur économique correspond par exemple à la valeur du patrimoine immobilier, aux stocks ou aux contrats. Mais à cette équation mathématique s'ajoutent de multiples inconnues appelées « capital symbolique ». Théorisé par Pierre Bourdieu, ce capital dépend d'une échelle de perception. Pour une maison d'édition, cela prend en compte la réputation de la marque, sa reconnaissance dans le milieu, ses succès ou encore les prix littéraires reçus. Pour les repreneurs, il est d'ailleurs important de « prendre en compte que la valeur symbolique représentée par les auteurs peut partir au moment de la vente et il est de leur responsabilité de s'assurer que les contrats seront toujours actifs après la vente », rappelle l'universitaire et éditeur Pascal Genêt. Du côté de la librairie, cette notion de capital symbolique existe aussi. « La librairie n'est pas un commerce lambda mais un commerce original avec une identité forte », affirme Laurent Delabouglise. Le consultant conseille ainsi de « voir comment l'enseigne s'inscrit dans son environnement et quelles sont ses relations avec les autres acteurs de son territoire », souvent garants d'une bonne santé économique.
4.(Se) former
Une période de tuilage est nécessaire pour former les repreneurs. Respectivement arrivés en 2008 et en 2011, Stella Magliani-Belkacem et Jean Morisot sont devenus cogérants de La Fabrique en 2018. Avant même que cette transmission ne soit effective, le fondateur de la maison Eric Hazan les a « toujours impliqués dans toutes les tâches. Il nous a tout appris : la fabrication, la gestion de la trésorerie, les relations avec les libraires, la communication avec la presse..., détaille Jean Morisot. Quand nous sommes devenus gérants, nous savions déjà faire tourner la maison sur tous ses aspects. » Si le repreneur ou la repreneuse est externe à l'entreprise, il est de bon ton de rester quelques mois ou années pour passer le flambeau. « Maïté Hudry (la fondatrice de Norma, ndlr) m'a appris le métier d'éditeur, le processus comptable et de gestion des comptes. Avec Matthieu Flory (le cogérant, ndlr), nous avons pu nous appuyer sur ses compétences », raconte la cogérante de Norma Virginie Hagelauer. Côté librairie, « il y a un vrai enjeu de formation que relève bien l'École de la librairie avec des cursus très adaptés, tant pour les salariés qui aspirent à devenir gérants, que pour les personnes en reconversion », considère Marion Baudoin, déléguée générale de l'association Chez mon libraire, en Auvergne-Rhône-Alpes. C. L. & S. L.
