3 janvier > Roman France > Jean-Marie Rouart

Les grands ressorts romanesques ne sont, finalement, pas en nombre infini : le pouvoir, l’argent, l’amour, le crime, la famille… Et s’il est bien quelqu’un qui a consacré une grande partie de son œuvre à ces fondamentaux, le pouvoir et l’amour surtout, c’est Jean-Marie Rouart. "Bouquins"/Laffont rassemble d’ailleurs parallèlement en un volume ses cinq romans les plus connus (dont Les feux du pouvoir, prix Interallié 1977, et Avant-guerre, prix Renaudot 1983) sous le titre Les romans de l’amour et du pouvoir. Tout l’art de l’écrivain consiste alors, outre ses qualités de style, dans la manière dont il traite le thème qu’il s’est imposé, le renouvelle et parvient encore à nous surprendre. Dans ce domaine, Jean-Marie Rouart, comme Philippe Sollers dans un autre genre, est passé maître.

La "jeunesse perdue" qui donne son titre au livre, ce peut être celle du narrateur. Directeur d’une revue d’art réputée, tout, en apparence, lui a réussi. En dépit de son peu de compétences, il a croisé Warhol et Bacon, et fait un beau mariage. Sa femme, Jeanne, non seulement très riche - et radine -, mais, sous-préfète dans une petite ville de province, ne l’encombre guère de sa présence. Par un accord tacite, chacun est libre de mener sa vie, y compris amoureuse. Lui ne s’en prive pas, même s’il prendra mal que Jeanne ait une liaison avec Ambroise Duvivier, son médecin, lequel se révélera être un salopard.

Sa peur panique, c’est de vieillir, de ne plus susciter le désir. Aussi, lorsqu’il rencontre la jeune et belle Valentina Orlov, qui lui accorde vite ses faveurs, est-il transporté de bonheur. Un mois seulement. Ensuite, viennent la curiosité et la jalousie maladive, avec leur triste cortège : souffrance, frustration, paranoïa. S’enclenche un processus autodestructeur qui le laissera exsangue sur tous les plans : Jeanne, ayant demandé le divorce, entreprend de le ruiner, l’obligeant à vendre leur appartement parisien, tandis que lui, rejeté par une Valentina dont il a découvert qu’elle est une courtisane, finit de se mettre sur la paille en louant ses services à des prix délirants.

Jean-Marie Rouart traite de ce qu’il connaît, les beaux quartiers, le monde de l’art, mais, surtout, de ce que Proust appelait "les intermittences du cœur". Son héros est à la fois macho et égocentrique, la passion peut le rendre vulgaire et violent, mais il sait aussi toucher le lecteur parce qu’il souffre, et que son "problème" peut être un jour celui de chacun(e) d’entre nous. Ce roman en clair-obscur s’achève sur trois défaites : celle de Jeanne, trahie, celle du narrateur, ruiné, solitaire, et qui voit cette fois sa vie définitivement derrière lui, et même celle de Valentina. La "jeunesse perdue", c’est aussi déjà la sienne. J.-C. P.

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