1er janvier > Essai France

L’historien est là pour "prendre dates" comme le disait très justement Patrick Boucheron dans un essai publié à chaud avec l’écrivain Mathieu Riboulet après les attentats de janvier 2015 (Verdier). Mais il est aussi là pour prendre le risque de l’analyse en sachant qu’il n’a pas le recul suffisant pour donner à son regard la clairvoyance nécessaire.

Un an après les faits, Pascal Ory (Paris-1 Panthéon Sorbonne) se jette à l’eau dans ce "livre d’intervention" dans lequel il ne s’interdit pas de raisonner. Mais en spécialiste de l’histoire culturelle, engagé dans un travail de réflexion sur le "rôle social de l’historien", il le fait avec méthode. Il n’oublie pas pour autant sa passion pour la bande dessinée et l’amitié qui le liait à Cabu.

Pascal Ory aborde l’événement en historien. En treize leçons, il cerne les différentes facettes du sujet. Il décompose les attentats puis les marches républicaines où tout le monde se disait Charlie. Il règle au passage son compte à Emmanuel Todd qui a pensé un peu vite ce qui s’était formé dans l’urgence. Beaucoup de thèmes sont abordés par l’historien : la notion de sidération qui s’est répandue dans les médias, le rôle du dessinateur de presse dans une démocratie, le sens de l’expression "Je suis Charlie", la liberté d’expression après le message sur Facebook de Dieudonné qui se sentait "Charlie Coulibaly", la parution de Soumission de Michel Houellebecq ou la confusion des mots, notamment sur la définition de peuple. "A aucun moment d’aucune histoire un "Peuple" n’est descendu dans la rue." Il faut pourtant bien qualifier de populaire une manifestation de masse socialement hétérogène.

Ces événements (les massacres de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et l’assassinat de la jeune policière), il les nomme "janvier 15" comme les Américains ont nommé "september eleven" les attentats contre les tours jumelles du World Trade Center et le Pentagone en 2001. L’usage dira si cela a été retenu. Mais ce n’est pas le plus important. Pascal Ory sait bien que ces journées qui ont fait la France furent souvent des journées qui faillirent la défaire. C’est là que son essai entre dans les méandres de ce qui fait date.

Les leçons ça se donne, mais ça se tire aussi. C’est ce que fait Pascal Ory. Il tente donc de mettre de l’ordre là où l’on n’a vu que le désordre du temps, le prétendu chaos d’une époque que certains refusent par le terrorisme et ces douze morts qui, comme les douze coups de minuit, marquent le passage au jour d’après dans lequel il nous faut vivre. L’Histoire "avec sa grande hache", comme disait Perec, ne fait pas de détail. L’historien au contraire doit se saisir de ces détails, même s’il sait que le diable s’y loge quelquefois. Le domaine de l’historien, insiste Pascal Ory, c’est celui du temps. Celui qu’il circonscrit, celui qu’il nomme pour éviter qu’il ne se transforme en oubli, pour que l’émotion inévitable ne s’exerce pas au détriment de l’intelligence. Dépasser en somme par l’analyse le souvenir d’une sidération. Pari réussi.

Laurent Lemire

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