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Les médias qui font vendre

Les médias qui font vendre

L'enquête Livres Hebdo/I+C sur l'impact des médias mesurant les ventes de livres souligne, derrière le rôle prédominant de « La grande librairie », du Monde et de Télérama, la montée en puissance de médias populaires tels « Télématin » et la presse de province. _ Par Vincy Thomas et Cécilia Lacour

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Par Vincy Thomas
Créé le 07.09.2018 à 16h57

Il y a une quinzaine d'années, une poignée de titres de la presse parisienne et quelques émissions de télévision en vogue influençaient de manière déterminante les libraires et les achats des lecteurs. L'explosion des supports a changé la donne. Dorénavant, pour prétendre bousculer les listes de meilleures ventes, un titre se doit d'être partout, cumuler les recensements dans des journaux prestigieux et dans les médias dits « de niche », séduire aussi bien les grandes plumes que les youtubeurs. Et le bandeau « Vu à la télé » ne suffit plus.

Le déclin de la presse écrite, l'éparpillement du livre dans des émissions audiovisuelles qui parlent de santé, de culture ou de société ont contribué à compliquer la tâche des attachés de presse, qui doivent de plus en plus miser sur un marketing ciblé et enrichir leurs fichiers de nouveaux venus, les bien nommés « influenceurs » comme Abracadabooks, avec ses 14 000 abonnés sur Instagram.

 

Trois ans après la précédente, notre enquête Livres Hebdo/I+C auprès des libraires sur les médias les plus prescripteurs confirme cette tendance. Globalement, plus de la moitié des détaillants, dans tous les circuits de distribution, considèrent que l'impact des médias sur les ventes de livres n'a pas évolué, tandis qu'un tiers estiment qu'il s'est renforcé. C'est le cas en particulier des libraires des grandes surfaces culturelles, dont les ventes enregistrent la plus forte hausse annuelle parmi les circuits de distribution, et qui mettent le plus en lumière les livres promus à la télévision, à travers des tables ou des vitrines.

 

L'impact se révèle toutefois très variable selon les catégories de livres. Les romans, biographies et essais bénéficient le plus de l'attention des médias. Les autres genres, en particulier la jeunesse, mais aussi la bande dessinée et le pratique, subissent une faible exposition, et aucune nouvelle émission ne leur est d'ailleurs dédiée dans les grilles de cette rentrée. Le roman adulte occupe l'essentiel des émissions et des articles. Et selon un décompte effectué par Livres Hebdo, seulement 14 % des romans parus lors de la rentrée littéraire ont retenu cette année, jusqu'à présent, l'attention des 10 médias principaux même si « Boomerang » (France Inter) ou « Le réveil culturel » (France Culture) ou les talk-shows affichent une plus grande ouverture.

 

Seule la presse en ligne joue un rôle prescripteur aussi important pour les romans que pour les livres pour la jeunesse ou la bande dessinée. Selon les libraires interrogés par I+C pour Livres Hebdo, blogs, sites web, web TV et réseaux sociaux ont un peu plus d'influence depuis un an. Par ailleurs, les libraires utilisent de plus en plus les réseaux pour diffuser leurs propres conseils. Le phénomène va s'accentuer : l'an dernier, un Français passait une heure et vingt minutes quotidiennement sur les réseaux sociaux (en hausse) mais ne lisait la presse que 15 minutes (en forte baisse).

 

Le petit écran, parce qu'il est le plus rassembleur (2 Français sur 3) et le plus chronophage (3 h 40 par jour), surclasse les médias en tant que canal le plus prescripteur. Le service public domine notre étude avec les trois émissions les plus influentes, dont « La grande librairie », plébiscitée par davantage de libraires qu'il y a trois ans. L'émission animée par François Busnel produit même une newsletter spécifique pour les libraires. Malgré sa baisse d'audience, son rôle critique et ses sempiternelles polémiques, « On n'est pas couché » progresse également.

 

Avec l'impact notable des émissions plus anciennes comme « Télématin », « Un livre, un jour » et « C à vous », on observe que les programmes touchant un public plus féminin et en moyenne plus âgé sont plus efficaces dans la recommandation.

 

Cette tendance s'inscrit dans une vague de fond qui touche la presse écrite. Le Monde et Télérama (qui appartiennent au même groupe) règnent dans notre classement. Or Télérama, en très forte hausse au détriment du Figaro, a conquis ces dernières années un lectorat plus féminin tout en conservant les deux tiers de ses lecteurs hors Ile-de-France. La presse quotidienne régionale est celle dont l'influence progresse le plus (8 % en 2015, 30 % en 2018), confirmant un besoin de proximité de plus en plus rassurant. L'importance du lectorat féminin se confirme avec la bonne place de Elle, alors que l'impact des hebdomadaires généralistes sur les ventes de livres décline fortement (Le Point, L'Express) ou reste limité (Le JDD, Marianne, Paris Match). Le poids de la télévision, l'émergence de critiques spécialisés en ligne, l'intérêt grandissant pour des médias qui s'affirment populaires, ou encore le besoin d'éclectisme montrent que la prescription n'est plus l'apanage des élites littéraires. François Busnel en fait d'ailleurs une profession de foi : « Il faut donner envie à tout monde, pas à ceux qui savent. » Vincy Thomas

 

Enquête réalisée en août par l'Institut I+C pour Livres Hebdo auprès d'un large échantillon représentatif des librairies de 1 er niveau, des librairies de 2 e niveau, des grandes surfaces culturelles et des hypermarchés.

La télé, toujours la télé

Télématin en deuxième position derrière La Grande Librairie

La remontée de la presse régionale

L'audience des émissions selon Médiamétrie

3 questions à François Busnel (La grande librairie)


Quel bilan tirez-vous de votre dernière saison?

La progression de nos audiences prouve qu'il y a une envie très forte de renouer avec des histoires et du sens. La littérature ne doit pas s'adresser aux élites mais à tout le monde. Ce que je cherche, c'est donner envie de lire. Il faut être généreux, efficace, populaire.


Il y a un lien fort entre « La grande librairie », les libraires et les lecteurs.

C'est important qu'il y ait des émissions prescriptrices. J'ai envie d'être utile, et c'est une émission qui sert. Nous voulons que le lecteur devienne actif. Nous avons créé un réseau avec les libraires qui se sont approprié l'émission. Les téléspectateurs osent aller en librairie. Une émission sur Pierre Michon, et les fonds sont dévalisés. Quand Grands Corps Malade parle de poésie, les libraires sont heureux de voir venir de nouveaux clients. Votre sondage le confirme.


C'est une mission politique?

Les écrivains posent des questions sur le réel. Ils interrogent le monde. Je veux leur donner une parole publique. Il est dommage que le livre ne soit plus dans les journaux télévisés. Le jour où il y aura un écrivain par jour au 13 heures, ce sera la révolution. Il nous battra et j'en serai ravi. D'ici là, il faut restaurer l'art de la conversation. C'est un combat. Si on s'y met tous, on fera une nation de lecteurs.

4 nouveautés


France Culture : Le dimanche à 12 h 45, Marc Weitzmann décode l'évolution de la société à travers l'actualité culturelle dans « Signes des temps ».


France 3 : « Un livre, un jour », du lundi au vendredi à 16 h 05 et le samedi à 13 h 20, mue : un lecteur, anonyme ou célèbre, partagera sa passion pour un livre.


France Inter : Avec son podcast « Une histoire et... oli », la station invite des auteurs à écrire des contes originaux qu'ils liront.


France Culture : Outre son billet culturel dans la Matinale, Mathilde Serrell lance un podcast hebdomadaire, « Anachronique culturelle ».

Les libraires privilégient leurs choix

Si je n'ai pas aimé un livre, je ne le co mmande pas, même s'il est passé dans les médias », affirme Gilles Bérat. S'il est attentif aux critiques de Télérama, du Monde des livres, du Figaro Magazine, de Livres Hebdo, du Magazine littéraire et du Canard enchaîné, le libraire du Roi lire, à Sceaux, n'anticipe pas ses stocks en fonction des médias. « Je fonctionne au coup de cœur », revendique Gilles Bérat, qui voit surtout dans les médias un moyen de lui « donner envie de lire un ouvrage qui [lui] aurait échappé ».

 

Les librairies de premier niveau disent ne pas avoir ressenti une pression accrue du rôle des médias depuis un an, et ils sont un tiers à ne jamais mettre en avant un livre promu à la télévision, selon le sondage Livres Hebdo/I+C. Les libraires interrogés assurent au contraire fonctionner au coup de cœur. Cela fait bien longtemps qu'ils se sont séparés du bandeau « Vu à la télé ». « On ne met en avant que des livres que nous avons lus ou aimés », confirme Romain Cabane, de la librairie des Danaïdes à Aix-les-Bains. Par manque de temps, il regarde « assez peu » les médias mais s'informe dans Page des libraires, revue à laquelle il contribue.

 

« Les éditeurs nous envoient une foule d'informations, je n'ai pas besoin d'aller voir ailleurs », renchérit Stéphane Nédelec, à la tête depuis un an de La Pieuvre (Auxerre), spécialisée en BD. « Delcourt-Soleil a un espace dédié aux libraires sur son site Internet avec des argumentaires et des planches six mois avant la publication. C'est aussi par ce biais-là que je sais si un album va être mis en avant dans les médias ou adapté au cinéma. » Cela ne l'empêche pas de « surveiller » les médias traditionnels, comme Télérama, pour « [se] tenir prêt à commander en conséquence ».

 

En jeunesse, la prescription est plus compliquée. Sylvie Chabeau, gérante de La Mare aux diables à Dunkerque, regrette que ce secteur « ne soit pas forcément représenté dans les médias ». Ce ne sont pas les programmes de cette nouvelle saison qui vont lui donner du baume au cœur. De toute façon, elle estime qu'en tant que librairie indépendante « [son] rôle est de proposer autre chose, de privilégier des ouvrages qu'[elle] va pouvoir défendre ».

 

Gestion des stocks

 

« Je ne mets pas spécifiquement en avant un livre dont les médias ont parlé, je vérifie simplement que je l'ai en stock et j'ajuste les commandes », explique Jean-Claude Deteix, gérant du Talon d'Achille à Montluçon. Comparée à 2015, la mise en avant de livres promus à la télévision dans les librairies de premier niveau a reculé de 27 points pour les tables et de 10 points pour les vitrines, alors qu'elle a progressé dans les hypermarchés et les grandes surfaces culturelles.

 

Jean-Claude Deteix n'est pourtant pas réfractaire à la prescription médiatique, au contraire. Il s'intéresse à « La grande librairie », Télérama, Livres Hebdo, Le Monde des livres, Lire, « Le masque et la plume », « Boomerang », énumère-t-il tout en demandant à sa collègue, Nadia Oules, s'il n'oublie rien. Médiavore, il reconnaît tout de même de pas pouvoir tout lire. « Dans Télérama, je me contente des livres qui ont trois T. Pour Le Monde des livres, je ne lis que le papier principal », explique-t-il. En revanche, chaque samedi, il est attentif à la newsletter de « La grande librairie » qui annonce la liste des futurs invités. « Si je n'ai pas leurs ouvrages, je les commande tout de suite », affirme-
t-il tout en regrettant la programmation de l'émission le mercredi au lieu du jeudi, qui l'empêche désormais de recevoir les livres à temps.

 

A Caen, Nicolas Coulmain, propriétaire de La Nouvelle Librairie Guillaume, est « sensible » aux médias parce que ses clients le sont. Selon lui, « ils restent incontournables », notamment « La grande libraire » qui a un « grand impact », « La grande table » ou « Le masque et la plume ». « J'appuie la présentation, le conseil et la vitrine. Je gère les stocks en conséquence. Mais uniquement si la médiatisation d'un ouvrage correspond à nos goûts », nuance-t-il.

 

Chez Mollat, à Bordeaux, l'équipe de Pierre Coutelle, responsable du pôle littérature et sciences humaines, reste « vigilante » à la prescription médiatique. « Nous regardons tout ce qui parle des livres, précise-t-il, Télérama, L'Obs, L'Express, Livres Hebdo,la page livre de Sud-Ouest le dimanche, qui est très très prescriptrice, Radio France... » Parfois, les libraires sont « informés des passages dans les médias par les lecteurs eux-mêmes, surtout pour "Télématin" ».

 

S'il accorde une importance aux médias, Pierre Coutelle n'en voit pas moins un changement de paradigme : « Les libraires sont eux-mêmes devenus des médias avec les réseaux sociaux, les sites Internet et les vidéos. Les lecteurs n'attendent pas que nous ayons lu des livres mais que nous ayons un discours dessus. Parfois, certains
lecteurs viennent avec une page
imprimée de notre site Internet en nous disant : "Je veux ce livre."
 »
Cécilia Lacour

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