Un nouveau pape avec un nouveau nom ce ne sont pas là les seules nouveautés ! Par un geste inédit, il a reconnu aux individus rassemblés une force et une légitimité à laquelle ils aspirent. En cela, il prend acte de son temps en même temps qu'il vient en souligner l'originalité. Alors qu'il vient d'apparaître au balcon de Saint-Pierre devant la foule, celui qui est devenu le pape François prononce ses paroles : «  Et maintenant je voudrais donner la bénédiction, mais auparavant, auparavant, je vous demande une faveur : avant que l'Evêque bénisse le peuple, je vous demande de prier le Seigneur afin qu'il me bénisse  ». Cette formule n'a donné lieu qu'à très peu de commentaires dans la presse. Elle est pourtant très révélatrice d'une autre manière d'envisager la croyance et la transcendance. Alors que le pape a longtemps incarné le message divin, voilà qu'il demande aux croyants de prier Dieu pour qu'il puisse recevoir sa bénédiction. L'idée d'une transcendance n'est bien sûr pas abandonnée mais elle est conditionnée à l'adhésion de chacun (formant une totalité) à la foi. Le peuple des croyants n'est pas un troupeau passif qu'il s'agit de conduire mais une somme de fidèles, acteurs de la religion. La transcendance prend sa source dans la croyance des individus et peut ensuite seulement redescendre sur chacun. Fort logiquement, une fois la prière accomplie dans le silence recueilli de chacun, François enchaîne : «  Maintenant je vais donner, à vous et au monde entier, à tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, la Bénédiction  ». Ce premier discours du nouveau pape acte une façon neuve de penser le peuple. Il est à la fois acteur et suppose la participation de chacun à l'opposé d'une vision désingularisante de la foule. Le peuple des croyants devient un peuple d'individus croyants rassemblés, comme des internautes interagissant sur la Toile. Cette modernisation de l'Eglise, qui sera bien sûr à confirmer dans la suite de ce pontificat, tranche avec son image sclérosée et hiérarchique. Elle signale que les institutions sont en mesure de reconsidérer leur manière de penser ceux à qui elles s'adressent. Alors qu'elles ont eu tendance à penser le peuple de façon verticale comme objet d'une politique, il est possible de lui conférer un autre statut. Dans le monde des politiques culturelles on ne peut s'empêcher de penser que la primauté d'une politique d'offre conduite par des clercs (c'est-à-dire qui tiennent et revendiquent leur position de leur appartenance à une institution légitime) à destination du peuple ne correspond plus au rapport de nos contemporains aux institutions. Si l'Eglise en prend acte, pourquoi nos clercs laïcs n'en feraient-ils pas de même ? Comment les élites et politiques culturelles peuvent-elles refonder leur légitimité en cherchant l'adhésion des citoyens ? Une piste ne serait-elle pas de renoncer au mépris des élites à l'égard des références plébiscitées et au contraire de les reconnaître quitte à les compléter par d'autres ? La Folle journée de Nantes illustre cette nouvelle manière d'envisager la politique culturelle : en organisant un événement médiatique de masse, et en s'en donnant les moyens par un dispositif adapté (des concerts courts, des œuvres connues du répertoire, un cérémonial allégé), les organisateurs obtiennent une reconnaissance populaire qui les autorise à programmer des œuvres moins familières. Autre exemple : dans le domaine des médiathèques, la mise en avant et à disposition des succès éditoriaux, musicaux ou cinématographiques pourrait constituer un préalable à la proposition des références « de fond ». Mais cette mutation en cours et silencieuse des pratiques professionnelles doit s'accompagner d'un discours, d'actes symboliques qui marquent la rénovation. Aux élus locaux, à la ministre de la culture, aux autorités du monde des bibliothèques de manifester publiquement et médiatiquement leur « conversion » ! Pourquoi ne pas consacrer (si j'ose dire) du temps et de l'énergie à la mise en place d'un outil d'ampleur national permettant de repérer et faire connaître les choix des emprunteurs en médiathèque à travers le Top 50 des livres, films ou CD empruntés ? Pourquoi ne pas reprendre des discours politiques, légitimes car correspondant à la réalité, sur « la culture pour chacun » ? C'est sans doute à condition de ses rénovations que les élites (ici culturelles) peuvent rompre avec les fractures sociales. A quoi bon s'apitoyer sur ces dernières si les pratiques et discours participent à leur fabrication ?!
15.10 2013

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