Dans Génération X, de Douglas Coupland, les protagonistes revenus des idéaux hippies de leurs aînés et dégoûtés du cynisme de leurs contemporains yuppies se racontaient des histoires dans le désert californien. Un Décaméron revisité par des enfants de baby-boomers perdus, fuyant la peste du mercantilisme effréné. C'était il y a trente ans... Dans Des rêves à tenir, Nicolas Deleau nous transporte dans un port de pêche breton avec un petit groupe qui refait le monde au bar, ou plutôt s'entend pour le refaire concrètement. Ces utopistes-là ne veulent pas de plans sur la comète mais sauver la planète. Ils s'autoproclament « Les Partisans de la langouste ».

Pourquoi la langouste ? Elle est le symbole de ce qui ne tourne pas rond : la catastrophe écologique annoncée. En vrai, elle est victime de la surpêche ; métaphoriquement, on est tous des langoustes. Et Bic, alias Captain Maigrelet, de s'emballer devant la journaliste Irène qui enquête sur ces zadistes de la mer : « Toutes les espèces qui crèvent à cause de nous sont des langoustes. » Gwen, seule fille de la bande, explique à la reporter radio, solennelle : « [...] Il vaut mieux être du côté de ceux qui ont eu des rêves à tenir, et le courage d'agir pour leur donner corps. »

Une première action a été décidée. Entre attentat et happening, il s'agit de taguer un pochoir de langouste aux quatre coins de la ville, avec des slogans qui frappent. L'agit-prop fait son effet. Irène revient avec son micro pour approfondir son sujet. En totale immersion. Elle va en mer avec Gilles le « grand con » expert en blagues misogynes, rend visite à Bic encore à l'école de la marine marchande, réussit à faire parler Yann « un foutu taiseux » mais dont « personne n'arrive à la cheville en charpenterie de marine », fait un tour à l'atelier du narrateur du roman, bricoleur multifonction, « comme un garagiste pour tout et n'importe quoi ». À la fois avec eux et en marge, il y a Job, énigmatique figure tutélaire du groupe, flanqué d'une danseuse pantin de bois qu'il manipule sans cesse, et un whisky en main, qu'il boit chaud. Il est revenu après trente ans d'absence, c'est comme ça, Job apparaît et disparaît mais toujours auréolé d'un mystère lumineux. Les Partisans ont l'idée d'une arche qui nous épargnerait le désastre. Ça rappelle à Job un autre sauvetage, il y a bien longtemps, à Dunkerque... Sous la candeur de la fable et au-delà de la fraîcheur de ton, Nicolas Deleau signe un hymne profond à l'amitié, à l'amour du vivant, à l'amour, tout simplement.

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