Si une politique demande du temps pour s'amorcer, le budget en signale aussi son orientation. Le budget 2013 du livre et la lecture n'indique en rien un changement d'orientation en privilégiant le livre et le patrimoine. Les chiffres disent ce qui n'est guère l'objet de discours. La BNF concentrera plus de 203 M€ de subventions quand la BPI en disposera de 7 M€ (29 fois moins!). Pourtant, cette dernière est présentée comme «  le relais principal de l'action publique (...) s'agissant des pratiques de lecture  » ! Cela nous dit, non pas en discours mais en acte, la place que le ministère accorde à la lecture. La BPI dont «  la vocation est d'exercer pleinement son rôle de laboratoire au service de toutes les bibliothèques (...) à travers sa politique de coopération en région  » est condamnée à une action de faible ampleur.  Comment pourrait-il en être autrement avec un tel budget (équivalent à moins de deux bibliothèques de collectivité de 150 000 habitants) ? Mais est-ce que la BNF s'adresse aux lecteurs ? Son budget est présenté comme «  centré sur les missions stratégiques  » à savoir le projet Richelieu (lieu patrimonial pour des collections patrimoniales) et le « contrat de performance » [ document à télécharger ] de la BNF. Le projet Richelieu coûte à l'Etat 213M€ entre 2011 et 2017 dont 171,5 M€ pour le ministère de la culture. Cette dépense est justifiée par l'objectif d'offrir «  un lieu patrimonial et culturel, moderne et innovant au cœur de Paris  ». Pas sûr qu'il touche beaucoup de lecteurs... Il faut insister sur cette dépense qui représente le coût (construction et aménagement) d'une dizaine de médiathèque moderne de 2500 à 3500 m² (comme Thionville) ! Chaque lecteur de Richelieu coûtera à lui seul un nombre impressionnant de fois plus qu'un lecteur de lecture publique ! Si ce choix peut se concevoir, il a été fait sans bruit et il est porteur de conséquences... Mais lisons le « contrat de performance » de la BNF. Celui-ci accorde une faible place à lecture. Y compris dans l'objectif «  accroître, diversifier et satisfaire nos publics  », on parle d' «  accueil  », d' «  accès  », d' «  offre  »,  etc. mais pas de lecture ou de lecteurs. Pourtant, ailleurs on peut lire : «  défi majeur pour les années à venir, l'adaptation et le renouvellement de l'offre et des services de la BnF doit permettre de mieux répondre aux besoins et aux modifications des pratiques et des usages de tous ses publics  ». Un peu plus loin on lit encore que la «  BnF s'engage sur la période à adapter sa gestion et son fonctionnement aux évolutions économiques, sociales et écologiques de son environnement  ». Le contrat de performance a été prolongé jusqu'en 2013 et on voudrait suggérer des pistes pour que ces phrases ne soient pas bientôt à classer dans le rayon des formules visant à nous «  payer de mots  ». - les jeunes lecteurs sont aussi des élèves qui doivent faire leurs devoirs. C'est encore plus le cas dans l'environnement socio-économique actuel. Pourquoi faut-il qu'ils se livrent à leurs propres recherches hasardeuses (pour lesquelles les inégalités sociales sont très fortes) quand il suffirait que la BNF procède à des sélections de ressources gratuites existantes qu'elle proposerait sur son site ou sur celui des équipements municipaux ? - Parce qu'elle a pris en compte les nouveaux supports, la BNF a la fonction de dépôt légal pour la musique et la vidéo depuis longtemps. Il se trouve que les citoyens ont en effet basculé vers l'audio-visuel et ils jouent même aux jeux-vidéos depuis déjà plus de deux décennies... Ils accèdent à la musique et la vidéo via leurs outils numériques. En quoi la BNF prend-elle en compte ces pratiques effectives de nos contemporains ? Est-ce bien raisonnable que ce soit aux bibliothèques municipales, avec leurs moyens limités, de se préoccuper de la question ? La BNF n'est-elle pas une institution centrale, donc bien placée, à la fois pour négocier des « bouquets », poser les questions de droit, former et informer les bibliothécaires de lecture publique, en un mot pour construire une offre de documents audio-visuels en ligne ? - Plus largement, en quoi la BNF relève-t-elle d'une «  politique du livre et de la lecture  » ? En quoi participe-t-elle à la réflexion, pourtant essentielle, sur l'évolution des institutions qui se préoccupent effectivement de la lecture ? A l'heure où les dépenses publiques sont revues à la baisse, on pourrait souhaiter que l'action publique s'accompagne de discours convaincants pour les justifier. Ce premier budget « Livre et lecture » donne le sentiment d'une continuité dans laquelle le livre (comme objet patrimonial) l'emporte sur la lecture. Sans bruit, le patrimoine impose son évidence. Questionnons-la ! C'est ce qu'a fait récemment un article de R. Rérolle dans Le Monde (« Si cher Patrimoine » voir article ) sans parler de la BNF... Après tout, les jeunes générations seront-elles ravies de disposer d'un héritage que leur auront (aimablement) imposé ceux qui leur transmettent la dette publique avec ?
15.10 2013

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