9 novembre > Essai France > Gilles Lipovetsky

La politique peut-elle encore faire rêver ? La question fait partie des nombreux sujets abordés par Gilles Lipovetsky. Logique, quand on aborde le thème de la séduction. On ne peut éviter la notion de pouvoir et la fascination qu’elle exerce, ou pas. Mais le propos du philosophe-sociologue est bien plus vaste. Dans cet essai très documenté, il se propose de nous dévoiler l’histoire de la séduction à travers ses rituels et son inscription dans le social.

Le désir de plaire n’est pas nouveau. Les gestes, les parures et les maquillages ont traversé les siècles. Dans cette longue durée, Gilles Lipovetsky essaie de faire émerger une théorie du charme en croisant l’anthropologie et la sociologie. Mais, surtout, il explique la rupture marquée par la modernité libérale. Nous vivons, dit-il, "dans une société de drague connectée, délivrée des limites de l’espace-temps, ainsi que des contrôles collectifs et des formules ritualisées".

Le plaire s’acoquine avec le toucher et le nouveau commandement de cette société du glamour pourrait être "laissez-vous tenter". Cette tentation n’est pas sans lien avec l’économie libérale, elle est même essentielle pour comprendre pourquoi notre quotidien est envahi d’invitations à plaire. "Aucun phénomène n’illustre mieux la suprématie des stratégies de séduction dans nos sociétés que l’essor, depuis les années 1950, du capitalisme de consommation."

Gilles Lipovetsky avait déjà abordé les mécanismes de séduction dans L’ère du vide (Gallimard, 1983). Trente bonnes années plus tard, il fait le bilan d’un comportement qui s’est répandu. "Même si la société de séduction telle qu’elle fonctionne de nos jours ne nous donne pas les moyens d’affronter de manière satisfaisante les défis de l’avenir et exige à ce titre différents contrepoids, il n’y a pas lieu d’en diaboliser le règne."

On comprend donc mieux ce qui se dissimule sous les verbes plaire et toucher, entre séduction, manipulation et aliénation. Ce travail sur les comportements de séduction permet aussi de faire la différence entre la prédation sexuelle du genre Harvey Weinstein et la volonté hypertrophiée de séduction effrénée qui peut entraîner une annihilation de l’individu. On le voit, le sujet est riche, et les discussions comme les troubles qu’il génère ne sont pas près de se dissiper. Laurent Lemire

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