3 NOVEMBRE - ANTHOLOGIE France

Elisabeth de Feydeau- Photo S. SASSIAT/ROBER LAFFONT

De tous les sens, l'odorat est selon Aristote le plus médiocre. Sentir est ce qui nous relie à l'animalité, à l'irrationnelle mémoire primitive. D'après De originali peccato de saint Avitus, évêque de Vienne, Eve ne voulut pas goûter au fruit défendu, mais le serpent l'enroba dans le plus suave des parfums et dès qu'elle en sentit l'odeur elle céda à la tentation. Elisabeth de Feydeau, auteure de Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette (Perrin, 2005), signe dans la collection "Bouquins" une véritable épopée des fragrances, qui se décline en plusieurs parties. Des chapitres historiques retracent tout d'abord cette grande aventure olfactive, de l'âge de bronze ("Dans certaines sépultures, on retrouve les morts inhumés sur des lits de fleurs qui sont des lits végétaux aux multiples senteurs [...].") aux gammes ultracontemporaines, telle L'eau de Serge Lutens, créée en 2009, "cet antiparfum [qui] évoque un sommeil parfait, une chemise propre, une page blanche qui s'envole vers l'avenir". Viennent ensuite les propos des gens du métier : extraits de traités comme Le parfumeur royal de Simon Barbe, marchand parfumeur sous Louis XIV, ou La chimie des parfums (1925) de Léon Givaudan, éponyme de l'entreprise de parfum et de son école de parfumerie attenante. L'ouvrage se clôt avec "Les plumes", un florilège de textes littéraires sur les odeurs (Huysmans, Proust, Zola, Anna de Noailles, Jean-Pierre Otte) et un dictionnaire où les définitions techniques - "aldéhyde", terme désignant les produits de synthèse à base d'alcool inventé par le baron von Liebig - côtoient les entrées glamour - "Monroe, Marilyn", qui s'habillait la nuit "de quelques gouttes de N° 5" - et les noms de légende - "Shalimar", dont le flacon dessiné par Raymond Guerlain fut couronné premier prix à l'Exposition des arts décoratifs en 1925 et dont les envoûtantes notes vanillées le font compter aujourd'hui encore parmi les dix parfums les plus vendus en France...

Le parfum n'a pas toujours appartenu au domaine cosmétique. Rituel dans l'Antiquité : les Egyptiens l'emploient pour embaumer leurs morts. Médical au Moyen Age, le parfum, c'est la potion magique : l'élixir des moines, appelé "eau d'Arquebusade", est censé accroître le potentiel des arquebusiers sur le champ de bataille. Au XIXe siècle, il est encore utilisé pour calmer les nerfs, soulager les maux de tête et les douleurs dentaires. Jusqu'au XVIIe siècle, le parfum dont on apprécie surtout les versions capiteuses et ambrées masque avant tout les mauvais effluves du corps... Il faudra attendre la révolution hygiéniste venue d'outre-Manche pour que le parfum s'allège grâce à des notes florales, plus fraîches. C'est une odyssée passionnante qui nous est là contée, nous rappelant que si les odeurs sont d'ordre naturel elles ne sont pas moins d'ordre social.

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