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Mémoires de la servitude

Marie Barthelet - Photo Héloïse Jouanard/Buchet-Chastel

Mémoires de la servitude

Marie Barthelet imagine les tribulations d’un jeune Thrace réduit à l’esclavage et vendu à une famille grecque de Milet. Une fresque antique qui palpite au souffle de l’épopée.

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Par Sean James Rose
avec Créé le 04.05.2018 à 11h12

Né au sein d’un clan noble de la Thrace, le jeune héros éponyme du roman de Marie Barthelet, Damalis, voit ses proches se faire massacrer par l’ennemi. Viols, égorgements, cruautés sans nom. Lui-même réchappe de la férocité sanguinaire pour se retrouver sur le pont d’un bateau qui le mène au marché aux esclaves. Là l’ancien "petit Prince" est acheté à bas prix par Phérès, un riche Grec de Milet. L’adolescent à la belle carrure a été bradé parce qu’il a été vendu comme muet. Le "barbare" thrace ne parle tout simplement pas la langue d’Homère et ne réserve la fluidité de sa parole qu’à la narration de cette fresque imaginée par Marie Barthelet dont le premier roman, Celui-là est mon frère (même éditeur, 2016 et à paraître en "Libretto") nous plongeait déjà, sur fond de rivalité fraternelle, dans les mœurs de l’Antiquité.

Si la connaissance de l’histoire ne fait pas défaut à l’auteure de Damalis, loin s’en faut, on ne saurait réduire ce livre au genre "roman historique", et, dût-on le forcer dans quelque nomenclature, on le qualifierait volontiers de Bildungsroman ou "roman d’initiation": avoir un narrateur esclave et étranger, et dans l’âge où tout reste ouvert, permet d’interroger avec le protagoniste aliéné le monde alentour comme la condition humaine. S’effacer pour mieux laisser apparaître: "Les esclaves seuls savent l’invisibilité véritable." Celui que la maîtresse de maison a renommé d’un nom aux sonorités hellènes dit encore: "Ma transparence m’offrait de tout voir, entendre, sentir, toucher."

Intégrant l’oikia, le "foyer", de Phérès, Damalis, tel un meuble, prend place dans l’environnement domestique de son maître, à côté de l’intendant égyptien Alki, le "Vieux Grec", et de la nourrice spartiate. Il y a bien sûr l’épouse, Clymène, et mère d’Iros, l’aîné retors qui a le même âge que Damalis, d’Atha, le cadet rêveur, et de Pélie, l’affectueuse petite dernière. Notre protagoniste est initié aux arcanes de la maisonnée. Avec l’hétaïre et amie de Clymène, Néphê, née dans la servitude et de mère thrace, il apprend l’idiome et l’écriture grecs… et aussi le sens de la liberté: "Ce que l’on t’impose a peu d’importance. L’essentiel est de t’en dépouiller." D’autres personnages, pas si secondaires, comme l’Empoisonneur qui aida Iros à se débarrasser de son pédagogue ou encore le fils du potier Nikanor, le bel artisan amoureux de Néphê, entrent en scène et ourdissent, comme malgré eux, ces tribulations qui se doublent d’un drame familial. Pourquoi Iros se sent-il si mal aimé? Pourquoi Phérès ne veut-il pas de ses fils pour héritiers? Pourquoi Clymène ne souhaite-t-elle pas porter d’autres enfants de Phérès? Rapports de servitude, d’amour et de haine, de désir et de mort, le théâtre antique devient tout à coup très contemporain. Sean J. Rose

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