La littérature comme remède à l'oubli, qu'il soit intime, familial, ou collectif. C'est l'énergie qui traverse nombre de fictions et récits en cette rentrée d'automne. Et dans bien des cas, ce surgissement de la mémoire est provoqué par un objet.
par souen léger
Quand les objets parlent
Chez Laurent Mauvignier, aux éditions de Minuit qui en tirent 45 000 exemplaires, il s'agit de La maison vide. Une demeure familiale peuplée de récits où subsistent les traces de ses aïeules que l'auteur tente de ramener à la lumière. Au Seuil, Adrien Genoudet, lui, comble les trous de son histoire familiale dans Nancy-Saïgon à partir de la tunique traditionnelle indochinoise que portait sa grand-mère dans son cercueil, avant d'être déterrée en vue d'une réduction de corps pour faire de la place dans le caveau. Le narrateur hérite alors du vêtement et d'un carton contenant la correspondance de ses grands--parents, point de départ d'une enquête mêlant fiction et archives personnelles. Au Seuil toujours, dans Le bel obscur, -Caroline Lamarche tente, à partir d'une photographie énigmatique, d'élucider le destin d'Edmond, un ancêtre effacé du roman familial.

Chez Albin, Franck Bouysse retricote dans Entre toutes (40 000 ex.) la vie de son aïeule Marie, née en 1912 dans une ferme de Corrèze qu'elle n'a jamais quittée. Fatou Diome, elle, évoque dans Aucune nuit ne sera noire sa relation avec son grand-père et les leçons de sagesse qu'il lui a apprises.
Ce sont aussi des pères et des mères dont on essaie de dissoudre les silences ou de recoller les morceaux qui apparaissent dans plusieurs titres de cette rentrée. Jusqu'ici publiée par Grasset, Vanessa Schneider arrive chez Flammarion avec La peau dure (10 000 ex.). Elle y dresse le portrait de son père, l'écrivain et psychanalyste Michel Schneider mort en 2022, dépeignant la génération des baby-boomers. Pour Catherine Millet, également chez Flammarion, ce sont des photographies qui ont déclenché l'acte d'écrire Simone Émonet, du nom de sa mère, dont elle évoque le suicide. Régis Jauffret, lui, explore à travers Maman (Récamier) la figure maternelle disparue, se livrant sur sa vie entière. Dans L'Albatros de Raphaël Enthoven (L'Observatoire, 30 000 ex.), l'écrivain relate l'histoire d'un fils qui accompagne sa mère sur le chemin d'une maladie incurable.
Suivre les traces
Il s'agit, chaque fois, de combattre l'effacement. Alors que la grand-mère de Raphaël Sigal, atteinte de la maladie d'Alzheimer, a traversé la Shoah -lorsqu'elle était enfant, il décide d'écrire son histoire en se limitant à ce qu'elle lui a transmis, composant une Géographie de l'oubli (Robert Laffont). Deux romans s'emparent aussi de la question de la mémoire de l'Holocauste et de la Seconde Guerre mondiale. Le Québécois Jean-François Beauchemin, auteur du Roitelet, livre avec Mémoires de Mayron Schwartz une saga familiale où le narrateur, un écrivain juif athée néodarwinien, navigue parmi les souvenirs de ses grands-parents sur lesquels plane l'ombre des camps d'extermination. Avec La bibliothèque retrouvée (Zoé) Vanessa de Senarclens mène l'enquête autour de la bibliothèque « disparue » de Karl von Bismarck-Osten, de la période des Lumières à l'horreur nazie.
Mais comment transmettre quand tout ou presque a disparu ? En suivant les traces, pardi. C'est ce à quoi s'ingénie Marie Richeux dans Officier radio (Sabine Wespieser). L'autrice se penche sur la disparition en mer de son oncle qu'elle n'a pas connu, nous entraînant dans une reconstitution de la tragédie, de compilations d'articles de presse, en correspondances et télégrammes diplomatiques, jusqu'aux voyages en Italie, sur les lieux du drame, et en Bretagne. Entre documentaire et fiction, Camille de Toledo poursuit sa quête d'une autre vision du passé et de l'avenir dans Au temps de ma colère, chez Verdier.
Jusqu'ici publié par la maison aux couvertures jaunes, Antoine Wauters débarque dans la « Blanche » de -Gallimard avec Haute-Folie, qui raconte la vie de Josef, un homme dont la famille a été frappée par une série de drames qui ne lui ont jamais été rapportés. Un livre sur la marginalité et les conséquences d'une histoire enfouie sous le silence. Dans la même collection, Jakuta Alikavazovic signe avec Au grand jamais un roman sur les non-dits familiaux. C'est encore le silence qui entoure le père de Maxine, protagoniste de Fermer l'œil de la nuit, de Manon Fargetton (Héloïse d'Ormesson), qui entreprend un voyage en Écosse pour remonter le fil du temps et découvrir une vérité. Chez Denoël, Simon -Johannin exhume quant à lui, dans Le fin chemin des anges, l'histoire des bagnes pour enfants. On y suit un homme qui, hanté par des voix de fantômes, prend un train pour l'île du Levant, au large d'Hyères. Il y reçoit le récit d'un jeune garçon condamné pour vol et harcelé pour son homosexualité. L