5 avril > Essai France > Roger-Pol Droit

L’idée de faire revenir Platon au XXIe siècle peut paraître loufoque. Lui faire rencontrer Teddy Riner, le faire manger dans un McDo, le faire attendre à Pôle emploi, le confronter aux migrants ou au terrorisme peut relever d’une sorte de jeu philosophique pour geek amateur de séries sur Netflix. Et pourtant. Ce scénario s’avère porteur de sens. Il ne s’agit pas pour Roger-Pol Droit de trimbaler son Platon sur tous les sujets contemporains comme un "maître étalon" de la sagesse pour voir ce que cela donne, mais bien d’interroger notre aujourd’hui avec quelques idées d’un lointain hier. "Ce que je veux expérimenter, en toute subjectivité, c’est un mélange des eaux, une confluence, quelques tourbillons et ressacs d’une rencontre insolite entre les questions de ce penseur-fondateur-énigmatique et les nôtres, du moins certaines d’entre elles."

Les scènes, proposées sous forme de trois "carnets", sont explicites. A chaque fois, les dialogues socratiques apportent un éclairage nouveau. Sur tous ces sujets, Platon n’a pas toujours raison, mais il nous interpelle. C’est cette caractéristique qui le rend contemporain. Elle montre aussi que la pensée est avant toute chose affaire d’expérience et d’expérimentation. C’est pourquoi "nous vivons chez Platon sans le savoir".

Roger-Pol Droit a connu quelques beaux succès de librairie avec Si je n’avais plus qu’une heure à vivre (Odile Jacob, 2014) ou 101 expériences de philosophie quotidienne (Odile Jacob, 2001). Il revient sur ses terres antiques, jamais vraiment abandonnées, pour nous redire combien ces Anciens restent modernes. Il faut juste adapter les notions. Ainsi, pour saisir le sens de la caverne platonicienne pleine d’images, il suffit de considérer que notre téléphone est devenu notre "caverne portable".

Mais toute philosophie, comme toute médaille, comporte son revers. En condamnant à mort Socrate, la démocratie athénienne se faisait en Platon un ennemi féroce. Roger-Pol Droit explique combien ce bol de ciguë fut amer pour la pensée occidentale. Sans lui, nous n’aurions peut-être pas connu le glissement de Socrate à Platon, c’est-à-dire d’une philosophie qui interroge, donc qui dérange et stimule, à une philosophie qui répond, donc qui enferme. Cette tentation totalitaire n’est jamais absente lorsqu’on construit un système, c’est pourquoi Socrate n’en voulait pas. Il se voulait chaman, sûrement pas prêtre.

Ce n’est donc pas un Platon, mais mille Platon qui sont interrogés avec beaucoup d’esprit, vingt-cinq siècles plus tard. "Je me suis promené avec Platon. En toute liberté. Je l’ai emmené où bon me semblait, un peu partout, dans les lieux et les situations qui nous préoccupent." L’auteur de La République n’est au fond qu’un prétexte pour parler du temps qui est le nôtre, de la "bêtise fière d’être soi", des apparences auxquelles nous restons collés, des écrans qui font écran à la réalité, du manque de tri dans la foison documentaire, de l’absence de colère face à la haine et du manque de questions alors que le doute n’a jamais été si fort. L. L.

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