3 avril > Roman Mexique

Il se passe quelque chose en Amérique latine. Un pape et des écrivains. Un continent où, ces temps-ci, les golden boys seraient plutôt des golden girls. A peine remis du choc reçu lors de la publication en début d’année du premier roman de Pola Oloixarac, Les théories sauvages (Seuil), le lecteur français aficionado de littérature latina doit désormais faire avec une autre jeune impétrante, non moins brillante, Valeria Luiselli. Mexicaine, elle a 29 ans, partage sa vie entre New York et Mexico City, a publié en 2010 un recueil d’essais et de récits, Papeles falsos, qui fut très remarqué et soutenu par des parrains aussi prestigieux qu’Enrique Vila-Matas ou Rodrigo Fresán, et Des êtres sans gravité (déjà publié au Royaume-Uni par Granta) est son premier roman.

De quoi s’agit-il ? D’une jeune femme qui vit à côté d’elle-même, des siens, de sa vie. Une poétesse, sorte d’Emily Dickinson du XXIe siècle, un peu perdue entre les souvenirs de sa jeunesse à New York et son présent d’épouse et de mère à Mexico. Le désordre de l’une finira par « métastaser » vers l’apparente normalité de l’autre… En cause, la figure d’échec grandiose et radical de celui dont en vain elle essaya de susciter une publication chez l’éditeur américain qui l’employait, le poète mexicain Gilberto Owen, échoué dans le Manhattan des années 1920. Owen l’obsède peu à peu, l’éloigne de sa vie tout en la rapprochant du cœur secret d’elle-même, de son irréfragable solitude.

Tout est vrai dans ce roman, et tout est réinventé comme en une fantaisie noire et avec une troublante maîtrise par une Valeria Luiselli qui ne « vitrifie » le réel que pour en chasser l’émotion obscène. Il y a dans ces pages, dans leur majestueuse ironie, quelque chose qui n’est pas sans évoquer Saul Bellow et surtout la « mère pélican » de la nouvelle vague latina, Roberto Bolaño. Luiselli écrit drôlement de lui, « cet écrivain chilien mort avec le plus grand nombre d’amis vivants ». Imiter parfois n’est pas copier, c’est juste le plus sûr chemin vers la grâce.

Olivier Mony

 

 

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