Souvenez-vous du film X-Men 2 : celui qui crée de la glace, Iceberg (alias Bobby Drake) revient chez ses parents pour leur annoncer qu’il est un mutant. Les dialogues sont joliment cryptés en coming-out, comme s’il annonçait son homosexualité. Prenez maintenant La vie sexuelle des super-héros de Marco Mancassola à la page 81 et remplacez “super-héros” par “homosexuel” : “ Red avait appris à se débrouiller seul et à s’accommoder de ce double impératif : d’une part, constituer un exemple de normalité, comme tous les pères, et, de l’autre, demeurer un être exceptionnel, comme il convient à un super-héros. ” Comme il convient à un homosexuel. Les mutants devenus super-héros ont été créés dans les années soixante. Le temps a passé, les préoccupations aussi. Mais, dans la vraie vie, les homosexuels ne peuvent toujours pas se marier. Les super-héros, dans cette uchronie cross-over , ont vieilli : leurs pouvoirs diminuent, ils ont des enfants. Certains animent des shows télévisés, d’autres posent dans des calendriers. Ils ont connu la gloire dans les années soixante-dix et quatre-vingt, on se retourne encore à leur passage. Ils sont maintenant à la retraite, participent à des conférences scientifiques, se payent des prostituées de luxe ou sont seuls. Parfois les trois. Et, puisqu’il est question de ça, ils ont parfois des pratiques sexuelles extrêmes. Leur corps est extrême, aux extrémités des possibilités humaines, et au-delà. Ils se cherchent dans leur corps, leur corps se cherche en eux. La femme invisible, l’homme au corps de pierre, l’homme au corps ultra sculpté, l’homme au corps élastique qu’il peut étirer et déformer, la femme qui peut prendre l’apparence de n’importe qui, sont les métaphores du nôtre. A travers ces figures mythiques et grâce à quelques scènes très, très marquantes (à ne pas mettre entre toutes les mains), il s’agit d’une confrontation à leur intimité, la nôtre, à nos attentes, nos espoirs, nos désirs, nos fantasmes et nos pulsions les plus inavouables. Souvent, on les trouve entre rêve et réveil, flottant dans une incertitude, une difficulté à se connaître et à vivre dans ce corps, avec... quoi... quoi à l’intérieur ? Quel moi ? Ce roman de genre, contemporain à la manière de ces films et séries polyphoniques, où les humains grouillent, avec leurs habitudes de toujours, leurs habitudes de maintenant,  tente de nous réunir, nous figurants humains, de nous inscrire dans ce monde et, pour un instant aussi, “ hors de nos corps ”. Comme le dit Judith Butler, le corps est “ hors de lui ”. Nous sommes les super-héros. Nos pouvoirs sont limités, mais nous nous dépassons déjà  nous-mêmes. Dans le dernier numéro de la revue Critique , qui s’intitule Bodybuilding - L’évolution des corps , on trouvera un article sur le beefcake, cet homme au corps musclé, sculpté comme une image de magazine. Il est “ comme toutes les filles qui veulent être coiffées comme Brigitte Bardot. Chacun se perçoit comme unique, sans jamais se comparer aux milliers d'autres similaires, chacun est l'idéal, l'archétype sublime dont l'originalité émane : chacun, Bardot elle-même, et non une simple copie ou simulacre .” On nous rappelle que “ chaque jour, tout autour du globe, des hommes et des femmes se déhanchent, peinent et suent à grosses gouttes... ” sur des machines. Parfois en portant des prothèses. Comment nos corps sont-ils construits ? Par notre volonté, notre psychisme et nos fantasmes, les gamètes dont nous sommes issus, notre alimentation, l’ordre social et juridique, la différenciation masculin / féminin... C’est l’apport des sciences et de la philosophie, des études sur le genre, le sexe. “ Il pourrait s’agir, en fait, d’une question qui lie l’esthétique et le politique d’aujourd’hui ”. Nous acquérons notre corps par projection. Comment se fait la “ prise de forme ” ? Que sommes-nous et selon quelles interactions ? On croisera parmi la dizaine d’articles passionnants de ce numéro des sportifs dopés et technologisés au genre incertain, l’histoire d’un homme enceint et des parcours transsexuels, les processus de la sélection naturelle, des éléphants et des molécules, les nanotechnologies, la mise au placard du dualisme (corps / esprit, valide / handicapé, sain / malade, nature / culture, nature / artifice...), l’affirmation du lien, du relationnel dans la construction de soi, la “ plasticité développementale ”... tout ce que le corps humain, toujours transformé et en évolution, contient de variations et de possibles. Des métamorphoses. Pour qu’on ne nous maltraite plus. On se cherche toujours en sur-homme parce que nous sommes déchus. ________ La vie sexuelle des superhéros , Marco Mancassola, Editions Gallimard revue Critique , n°764-765, Bodybuilding - L’évolution des corps , dirigé par Thierry Hoquet, janvier-février 2011 (et quelques brèves reprises d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche)
15.10 2013

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