Avant-critique Roman

NoViolet Bulawayo, "Glory" (Autrement)

NoViolet Bulawayo - Photo © Nye Lyn Tho

NoViolet Bulawayo, "Glory" (Autrement)

NoViolet Bulawayo revisite La ferme des animaux et transpose la satire orwellienne dans le Zimbabwe de l'après-Robert Mugabe.

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Par Sean Rose
Créé le 30.06.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 02.07.2023 à 22h50

La politique au bestiaire ! La littérature adore les animaux. De l'âne d'or d'Apulée au lapin blanc d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll en passant par La conférence des oiseaux, contes soufis de Farîd al-Dîn 'Attâr, ou les Fables de La Fontaine... Que ce soit sur l'amour, le sens de la vie ou son absurdité, les rapports sociaux, on préfère la leçon quand nos amis les bêtes la donnent. L'écrivaine zimbabwéenne NoViolet Bulawayo revisite ici La ferme des animaux d'Orwell en transposant la satire politique dans un pays, Jidada, qu'on devine être sa terre natale. À travers un bestiaire haut en couleur, l'autrice de Glory redéploie l'histoire d'un Zimbabwe si longtemps sous la férule de Robert Mugabe, libérateur de l'ancienne colonie britannique et leader de la ZANU-PF (Zimbabwe African National Union-Patriotic Front) et tyran pendant quatre décennies.

C'est la fête nationale. La Vieille Carne, le cheval qui exerce sur Jidada un pouvoir sans partage, fait son entrée et s'apprête à haranguer la foule, à ses côtés son épouse l'ânesse Dr Douce Mère, « la première Femal de Jidada », autour de lui les « Élus du Jidada » et ses féroces « Défenseurs », chiens de garde (littéralement puisque les personnages sont des animaux)...« Le père de la nation » est increvable, c'est « un dirigeant dont le règne excède neuf vies de chats. Également un dirigeant au règne le plus long dans un continent, et même un monde, de dirigeants au règne long ». On goûte ici toute l'invention de l'écriture de NoViolet Bulawayo foisonnante d'images, de périphrases, d'ironiques contorsions oratoires typiques du conte philosophique, faisant la nique à la dictature. La traduction signée Claro n'est pas moins inventive (animals dans l'anglais original est rendu par « animals » en VF), l'écrivain-traducteur choisit de garder « tholokuthi », l'expression vernaculaire signifiant en ndébélé « en vrai », « je vous le dis », et qui scande cette chronique d'un naufrage politique annoncé.

Le discours du despote chevalin est interrompu par les Sœurs des disparus, nues en signe de protestation. Elles crient : « Rendez-nous les Disparus du Jidada ! » Hommage aux femmes qui font vaciller le trône du pouvoir. C'est le début de la fin pour le Vieux Cheval. Enfin le changement ! L'allusion au Zimbabwe de l'après-Robert Mugabe et au coup d'État perpétré par l'ex-vice-président Mnangagwa est patente, les désillusions aussi. Avec le cheval Tuvy « Réparateur de l'économie » et « Inventeur du Foulard de la Nation », c'est pire. À moins qu'on puisse invoquer l'esprit de la résistance incarnée par la chèvre nommée Destiny...

Culte de la personnalité, prévarication des kleptocrates, immaturité de la foule en perpétuelle quête d'un chef de meute charismatique... Humain trop humain est le tableau qu'offre avec causticité et poésie NoViolet Bulawayo grâce à son deuxième roman. L'animal anthropomorphisé n'est pas tant la bête devenue homme que ce dernier sous le masque de l'animalité portraituré dans sa tragique humanité.

Noviolet Bulawayo

Autrement
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 23,90 € ; 464 p.
ISBN: 9782080415400

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