stratégie

Pierre-Benoît de Veron et Karine Bailly de Robien: « On teste, on se trompe, on ajuste »

Karine Bailly de Robien et Pierre-Benoît de Veron. - Photo Olivier Dion

Pierre-Benoît de Veron et Karine Bailly de Robien: « On teste, on se trompe, on ajuste »

Directeurs associés de Leduc.s, reprise fin 2018 par Albin Michel, Karine Bailly de Robien et Pierre-Benoît de Veron expliquent la philosophie qui permet à la maison spécialisée dans le pratique d'afficher 15 ans de croissance à deux chiffres.

J’achète l’article 1.5 €

Par Isabel Contreras
Créé le 07.02.2020 à 19h32

Livres Hebdo : Depuis son rachat par Albin Michel fin 2018, Leduc.s a poursuivi sa croissance, déménagé et embauché... Où en êtes-vous ?

Pierre-Benoît de Veron : Nous en sommes à notre quatrième déménagement. En 2015, nous étions 9 salariés alors qu'en 2019 nous sommes passés à 36, dont 33 femmes et 3 hommes. Avec ou sans le rachat, nous aurions déménagé. Notre rapprochement avec Albin Michel a été une belle opportunité pour le faire.

Karine Bailly de Robien : A la suite du rachat, nous avons organisé un séminaire pour définir nos valeurs. Parmi elles, on trouve « voir grand », c'est-à-dire nous dépasser, fixer des objectifs ambitieux, nous inviter à nous améliorer et nous enrichir. Le fondateur de la maison d'édition, Stéphane Leduc, disait toujours « sky is the limit » [« le ciel est la limite », NDLR].

Karine Bailly de Robien- Photo OLIVIER DION

Quelles sont les autres valeurs de Leduc.s ?

P.-B. de V. : « Faire corps » puisqu'il y a une vraie solidarité entre les services mais aussi « créer pour inspirer ».

K. B. de R. : Rester en mouvement, c'est essentiel chez Leduc.s. On dit toujours qu'on a droit à l'erreur : on teste, on se trompe, on ajuste... Nous nous sommes lancés dans des segments qui n'ont pas fonctionné, comme la romance ou la jeunesse. En revanche, d'autres idées se sont soldées par des succès comme le label de littérature féminine « Charleston » ou « L'Inédite », marque tournée vers les loisirs créatifs que nous sommes en train de stabiliser, ainsi que l'humour et les essais/documents d' « Alisio ». Rester en mouvement, c'est aussi faire attention aux talents de l'entreprise, à leurs besoins. Nous avons à cœur de faire évoluer les postes en interne. Trois personnes ont récemment été promues à des postes de responsabilité, c'est notre grande fierté.

Quand on aborde la politique de la maison, vous faites d'abord référence à vos équipes, pas à vos auteurs.

K. B. de R. : Nous nous appuyons sur un best-seller, dont le titre en anglais est Employees first (Les employés d'abord). Nous faisons du « servant leadership », nous sommes au service de nos équipes. Si elles vont bien, elles s'occuperont bien des auteurs.

P.-B. de V. : Il y a, dans son livre Qu'est-ce qu'un chef ? (Fayard, 2018), une phrase de Pierre de Villiers que j'aime beaucoup : « Le rôle du chef d'entreprise n'est pas de prendre la lumière mais de la faire rayonner. » Nous voulons être au service de nos équipes pour les faire rayonner. Dans ce sens, le bien-être au travail est essentiel. Nous favorisons l'autonomie à la faveur du télétravail. Nous avons aussi mis en place un baromètre social, un questionnaire qui fait remonter les interrogations de l'équipe depuis le rachat. Dès lors, nous organisons des petits-déjeuners stratégie où six salariés de la société discutent sans filtre, peuvent demander des précisions sur la stratégie, abordent des sujets du quotidien. Cela donne sens à leur travail car ils définissent vers où ils vont. C'est très important.

Cela encourage surtout la productivité.

P.-B. de V. : Avec Karine, nous aimons beaucoup lire des ouvrages sur l'entreprise et le management. Nous encourageons la productivité par le biais du sport. C'est pourquoi nous avons négocié un partenariat avec le réseau de salles de sport Neoness pour en donner l'accès à nos salariés.

K. B. de R. : Les endorphines doivent être secrétées afin d'encourager la bienveillance, l'enthousiasme !

Les équipes font donc le succès de Leduc.s ?

K. B. de R. : C'est un fait. Ensemble, nous fonctionnons en « small wins » : une petite victoire après l'autre. Nous célébrons ces petites victoires qui mises bout à bout constituent de grandes victoires. Par exemple, le premier roman paru chez Charleston, Les roses de Sommerset, a été choisi par Le grand livre du mois comme livre vedette, cela a été une première victoire. Lorsqu'on l'a sorti en librairie, il s'était déjà vendu à 10 000 exemplaires. Je me souviens aussi de notre première reprise en poche par 10/18 de La femme qui décida de passer une année au lit, de Sue Townsend. Notre dernière victoire remonte à il y a quelques semaines, lorsque la Fnac a sélectionné l'un de nos titres dans sa liste de coups de cœur de la rentrée littéraire de janvier. Le Chant de nos filles de Deb Spera s'est retrouvé à côté de titres de Grasset, Gallimard ou P.O.L... Encore une petite victoire.

P.-B. de V. : Nous tenons également à fêter ces victoires et organisons des pots dans l'entreprise autour des anniversaires, des naissances, des arrivées comme des départs.

Votre croissance repose surtout sur votre stratégie marketing. En quoi consiste-t-elle ?

K. B. de R. : Pour atteindre un maximum de lecteurs, nous appliquons la stratégie du « growth hacking », créée par l'auteur américain Ryan Holiday, que nous publions par ailleurs. Nous nous appuyons sur des ambassadeurs, notre premier cercle de lecteurs, qui s'occupent de faire du bouche-à-oreille autour de nos titres. Nous allons jusqu'à concevoir les livres avec eux.

Qui sont ces ambassadeurs ?

K. B. de R. : Ils sont différents selon les projets. Pour Charleston, nous sélectionnons vingt lectrices chaque année. Nous tissons des relations presque quotidiennes avec elles. Nous leur demandons leur avis sur les couvertures, les titres, les traductions. Il s'agit de lectrices qui ont créé leur propre communauté et qui exercent une influence. Pour nous, le plus important c'est de partager les mêmes goûts littéraires avec elles afin de co-construire la stratégie autour d'un livre. Dans le domaine du pratique, ces ambassadeurs sont souvent des experts. Le « growth hacking » est une manière très saine de faire parler d'un livre puisqu'elle est tout à fait mesurable : nous arrivons à savoir qui a parlé de quoi et quel impact cela a eu sur les ventes du livre. C'est beaucoup plus satisfaisant que de la pub.

Quels sont vos best-sellers ?

P.-B. de V. : Chez Leduc.s, nous parlons plutôt de « perennial sellers ». Notre catalogue se constitue d'environ mille titres. Aucun ne représente à lui tout seul 30 % de notre chiffre d'affaires : les nouveautés d'aujourd'hui font le fonds de demain, ces 1 000 titres sont notre socle. Nous sommes sur une croissance progressive et saine. C'est la performance de livres comme Le personal MBA de Josh Kaufman ou La bible des huiles essentielles de Danièle Festy qui se vendent toujours année après année.

Avec le soutien d'Albin Michel, allez-vous voir encore plus grand ?

K. B. de R. : Notre spécialité consiste à dégoter des pépites dans les backlists pour les donner à lire au plus grand nombre. Il s'agit de titres qui n'ont jamais été publiés en France et qui ont rencontré un franc succès à l'étranger. Nous allons poursuivre cette stratégie tout en nous positionnant sur des frontlists. Nous avons remporté en décembre nos premières enchères en pratique avec le titre de parenting Hunt, Gather, Parent : The Lost Art of Raising Happy, Helpful Little Humans, de l'anthropologue et journaliste Michaeleen Douclef. Mais aussi en littérature avec Cilka's Journey de Heather Morris, la suite du Tatoueur d'Auschwitz (City, 2018). Nous pouvons désormais faire des paris sur des livres qui n'ont pas encore été publiés et pour lesquels nous avons des coups de cœur. Mais nous ne changeons pas de stratégie du jour au lendemain, au contraire.

Que vous permet d'autre l'investissement d'Albin Michel ?

K. B. de R. : Nous pouvons désormais inviter nos auteurs à des salons littéraires prestigieux comme Livre Paris, la Foire du livre de Bruxelles, le Printemps du livre de Montaigu mais aussi America. Les auteurs sont très demandeurs de déplacements de ce type. Il est important que nous puissions les leur offrir. En ce sens, Albin Michel nous aide à chouchouter nos auteurs.

Allez-vous accueillir de nouveaux auteurs français ?

K. B. de R. : Nous n'avons pas de transferts à annoncer, mais cela pourrait arriver. Notre équipe est armée pour faire le bonheur d'un gros auteur. W

Les dernières
actualités