22 août > Roman Afrique du Sud

Double négatif, le dernier roman d’Ivan Vladislavic, né à Pretoria en 1957 et l’un des meilleurs représentants de la littérature sud-africaine actuelle, peut se lire sous de nombreux angles comme une image composée de différents plans et de quantité de détails bord cadre. Un premier coup d’œil renvoie à une fiction d’inspiration autobiographique : les vingt ans d’un garçon de la classe moyenne blanche dans le Johannesburg sous le joug de l’apartheid du début des années 1980. Neville, le jeune narrateur, se cherche : il a abandonné des études de sociologie et de philosophie politique pour se confronter au monde du travail, et est retourné vivre chez ses parents. Flottant, indéterminé, il juge ses « opinions chancelantes » quand il les compare aux engagements des étudiants politisés qu’il a croisés. Pour échapper au service militaire, il décide de s’exiler en Angleterre, y passe dix ans, devient photographe publicitaire avant de rentrer dans son pays et sa ville métamorphosés. Jusque-là, on pourrait penser à J. M. Coetzee et son Vers l’âge d’homme transposé vingt ans plus tard. Mais la comparaison est trop réductrice. Car Double négatif, qui est à l’origine la partie romancée d’un livre écrit avec l’artiste photographe sud-africain David Goldblatt, est aussi une réflexion perçante et intemporelle sur les liens entre art et politique, entre formation du regard et construction de soi. La narration en trois époques s’organise autour d’une journée décisive que le jeune homme passe à suivre un ami de la famille, le photographe Saül Auerbach, arpenteur des quartiers noirs de Johannesburg, double fictionnel de Goldblatt. Journée de travail qui part d’un jeu, le « jeu des maisons », dont la règle consiste à choisir d’un promontoire surplombant la ville trois maisons dont Auerbach essaiera de photographier les habitants.

Comme Clés pour Johannesburg (Zoé, 2009), où l’écrivain redessinait le plan de la ville par un récit à multiples perspectives, Double négatif ne s’intéresse pas non plus aux vues d’ensemble, mais isole des clichés dont la valeur est aussi métaphorique qu’explicitement documentaire. De cette journée de prises de vue, le narrateur ne tirera ainsi aucune thèse démonstrative mais des leçons instables et plutôt amères.

Véronique Rossignol

17.10 2013

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