Alors qu'Aurélie Filippetti est désormais officiellement nommée ministre de la Culture, je voudrais discuter d'une mesure qu'elle proposait au cours de la campagne de François Hollande, dans le document titré Eléments pour une politique en faveur du livre et de la lecture,  que Livres Hebdo vient judicieusement de publier sur son site Internet (voir actualité du 7 mai ). Dans la rubrique « Soutenir la lecture publique », elle fait figurer en première place la proposition suivante : « Lancer des campagnes de communication ciblées sur enfants et jeunes pour le renouvellement des futurs grands lecteurs. Par rapport aux chiffres de baisse tendancielle de la lecture et de la part de grands lecteurs, cet enjeu est très important.» Collectivement, on ne saurait que trop souscrire à cet objectif et c'est au nom de celui-ci que je pense nécessaire de soulever deux objections : Promouvoir la lecture par une campagne de communication risque de produire un effet pervers identifié par plusieurs confrères sociologues. Les jeunes sont entourés d'adultes (parents, grands-parents, enseignants, bibliothécaires, libraires, etc.) qui vantent les plaisirs et vertus de la lecture. Il est loin le temps où elle était contrôlée voire interdite par des parents ou des autorités morales (enseignants, curés, etc.), au nom des risques qu'elle pouvait faire encourir aux jeunes esprits ! Désormais, tous se réjouissent de la lecture de livres et se mettent en tête de la défendre. Cela signifie que la lecture devient moins une pratique juvénile qu'un enjeu pour les adultes qui visent à maintenir le monde tel qu'ils l'ont connu. Même si ce n'est pas l'intention première, la promotion de la lecture de livres contribue à maintenir le monde des adultes inchangés. Est-ce bien le meilleur moyen de faire entrer les jeunes dans la lecture ? Car les jeunes lisent mais à travers d'autres supports et surtout des écrans... La promotion de la lecture ne peut passer sans une reformulation de la pratique. Puisque notre président entend faire sa place à la jeunesse, serait-ce bien cohérent ? La question est bien la suivante : Comment favoriser l'appropriation personnelle de la lecture de livres par les jeunes générations ? Une des conditions est que la signification de leur pratique ne soit pas seulement celle d'une conformité au désir des adultes mais le support d'une expression personnelle. Dans leur quête d'autonomie, comment peuvent-ils construire leur monde s'il se superpose à la norme des adultes ? Il convient de favoriser discrètement la transgression, les pratiques qui font sens pour les jeunes entre eux (par exemple : Harry Potter , Twilight ), les outils techniques qui leur sont familiers (smartphones, Internet, etc.). Peut-être que la promotion de la lecture serait plus efficace si elle passait par une promotion des médiathèques et de leurs nombreux services qui ne se résument pas à la lecture papier ? Accessoirement, une campagne de promotion de la lecture peut aussi participer à la construction du stigmate de l'illettrisme. Si l'apprentissage de la lecture est une nécessité, elle ne doit pas se faire en montrant du doigt ceux qui ne maîtrisent pas cette pratique. Ce n'est pas une question de jugement de valeur mais tout simplement d'efficacité : comment faire entrer dans la lecture des individus qui doivent supporter le poids supplémentaire du regard stigmatisant sur leur personne ?
15.10 2013

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