28 août > Roman Suisse

Peut-être faut-il entrer dans le dernier roman de Peter Stamm sans lire la quatrième de couverture, sans rien savoir de son intrigue. Ainsi peut-on mieux goûter son ouverture, ces toutes premières pages qui retranscrivent l’état de conscience dans lequel se trouve l’héroïne, Gillian, la réalité à la fois flottante, cotonneuse et, en même temps, détaillée qu’elle perçoit et où se concentre cette combinaison de précis et d’elliptique qui fait la puissance distante des histoires de l’écrivain suisse.

Mais on doit bien raconter un peu : Gillian se réveille à l’hôpital, défigurée après un accident de voiture dans lequel son mari Matthias a trouvé la mort. Pour cette femme jusqu’ici gâtée par la vie, présentatrice à la télévision, l’apparence physique, la beauté plastique étaient l’armature de son statut social, de ses relations aux autres, et aux hommes en particulier. L’accident tragique est lui aussi indirectement lié au fait que Gillian a provoqué la jalousie de son compagnon en acceptant de poser pour Hubert qui peint des nus féminins à partir de photographies.

Reconstruire son visage équivaut à reconstruire toute sa vie sur d’autres valeurs. Tous les jours sont des nuits, qui tire son titre des derniers vers du sonnet 43 de Shakespeare, raconte en remontant parfois le temps, un processus de reconquête de soi : la première étape est une convalescence en forme de renoncement, puis on retrouve Gillian six ans après le drame quand, devenue Jill, retirée dans un bourg des montagnes où elle travaille désormais comme animatrice culturelle dans un centre de loisirs, elle recroise Hubert, homme en plein doute qui a cessé de peindre. Mais Peter Stamm n’est pas un écrivain de romance et il suffit d’avoir lu par exemple le sort littéraire qu’il réserve à la figure du triangle amoureux dans Sept ans pour savoir que les retrouvailles entre l’artiste et le modèle joueront la partition discrète de l’ambiguïté. Peter Stamm compose ainsi un beau portrait de femme en morceaux qui retrouve une intégrité accordée à sa vérité intérieure au-delà d’une image définitivement perdue. Une femme capable de soutenir alors n’importe quel regard. De s’affranchir de tous les reflets.

Véronique Rossignol

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