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Rentrée universitaire : des nouvelles formes au grand public

La faculté de droit Jean Monnet à Sceaux et le campus Pierre et Marie Curie à Sorbonne Jussieu - Photo Olivier Dion

Rentrée universitaire : des nouvelles formes au grand public

Pour faire face aux nouveaux usages, qui sont autant de nouveaux défis, ainsi qu'aux coupes budgétaires du ministère de la Recherche, les éditeurs s'appuient sur les forces et les possibilités que continue d'offrir ce marché et tâchent de le démocratiser.

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Par Dahlia Girgis
Créé le 08.09.2025 à 17h20

Le marché universitaire se révèle amorphe, avec une baisse de 3 % du chiffre d'affaires sur l'année scolaire en 2024-2025, selon GFK. Parmi les raisons soulevées par les professionnels : la concurrence du livre d'occasion, la prolifération des contenus générés par l'intelligence artificielle (IA) et, toujours, l'évolution des pratiques de lecture.

La loi Darcos fait également ressentir ses effets au sein de ce marché caractérisé par la prépondérance des achats en ligne. « Amazon nous fait réduire la voilure, nous avons moins de commandes et nous pressentons un changement d'algorithme qui met moins en avant nos ouvrages », estime Gwénaëlle Bourron-Painvin, directrice des éditions Vuibert. Entrée en vigueur en 2023, la législation fixe un prix plancher de 3 euros pour les livraisons de commandes de livres neufs de moins de 35 euros. « Avec la situation économique actuelle, les étudiants ne souhaitent pas forcément payer des frais de port quand ils achètent un ouvrage », ajoute la directrice.

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Gwénaëlle Bourron-Painvin, directrice des éditions Vuibert.- Photo OLIVIER DION

Pour la rentrée, Vuibert s'offre une trentaine de nouveautés, dont des ouvrages pour la réforme du CRPE. À la rentrée, les épreuves de l'enseignement du premier et du second degré sont accessibles à partir de la 3e année de licence. Les concours en master restent également actifs. Vuibert lance deux collections distinctes pour les deux publics, ainsi que des ouvrages transverses de remise à niveau pour l'ensemble des candidats. « Nous pouvons nous appuyer sur des auteurs qui sont membres de jurys de concours, soit un facteur de réassurance pour l'étudiant », souligne Gwénaëlle Bourron-Painvin.

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De son côté, Ellipses inaugure en septembre la collection d'ouvrages transverses « 100 % Réussite Capes ». L'offre est complétée par des tout-en-un en L3 et en master. « Nous avions déjà beaucoup travaillé dessus », commente la directrice éditoriale, Manon Savoye. La réforme a été retardée en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024. Comme ses confrères, Studyrama n'est pas passé à côté de la réforme pour compléter son catalogue avec le tout-en-un Nouveau CRPE. Toutes les épreuves. La maison profite par ailleurs de la réforme de la procédure d'admission à Sciences Po (Concours Sciences Po Paris 2026). Alors que la saison passée, les éditeurs ont globalement pu bénéficier de la réforme du Plan Comptable Général. Au sein du top 20 des meilleures ventes universitaires réalisé par GFK, sept titres y sont dédiés. 

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Stéphanie Renaudin, responsable marketing, promotion et communication chez Dunod.- Photo OLIVIER DION

En parallèle des réformes, les éditeurs surfent sur la tendance des ouvrages visuels. En sciences, Dunod crée la collection « Mémentos flash » pour « continuer à proposer des ouvrages en adéquation avec les besoins des étudiants ». Publiés en août, six titres déclinent les connaissances clés d'une discipline sous forme de dépliants. Chez De Boeck Supérieur, une série de « flipbook » est lancée dès octobre en géologie (La géologie de surface en clin d'œil et La géologie profonde en clin d'œil).

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Chaque titre comprend une lecture animée par feuilletage avec d'un côté les fiches et de l'autre les schémas. « Les étudiants sont dans l'efficacité de la lecture, de la révision... Il y a vingt ans les éditeurs universitaires n'avaient pas à se diversifier, alors que maintenant il faut être innovant, chercher de nouveaux formats et de nouveaux profils auteurs », soutient Elocia Vermeulin, directrice éditoriale chez De Boeck Supérieur, qui ajoute : « Nous allons continuer notre stratégie de synthétisation, sans oublier ce qui fait notre image de marque, à savoir nos manuels ». Ces ouvrages aux paginations importantes continuent d'être des long-sellers à l'image du Manuel d'anatomie et de physiologie humaines.

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Frédéric Vignaux, directeur de Studyrama.- Photo OLIVIER DION

Autre acteur du marché à s'inscrire dans la tendance de simplification, Studyrama a investi dans la refonte de sa collection « Le choix du succès ». Après 15 ans d'existence, la marque se pare d'une maquette plus accessible et percutante en couverture. À l'intérieur, l'ouvrage comprend moins d'explications en faveur d'un système de fiche. Pour la promouvoir, Studyrama propose avec des librairies et son distributeur Dilisco des lots à gagner lors de l'achat d'un titre, à partir de juillet 2025. Des cartes à gratter donnent accès à des semaines de stage ou à des heures de coaching. « Nous n'avons jamais autant investi dans une campagne, mais l'investissement est nécessaire pour garder notre légitimité et notre place », explique Frédéric Vignaux, directeur des éditions Studyrama.

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Hélène Hoch, directrice éditoriale universitaire chez Dalloz- Photo OLIVIER DION

Rester visible

La visibilité se joue également par la prescription. Anne-Laure Chaumeil Mennessiez, directrice adjointe du pôle édition chez Lefebvre Dalloz, confirme : « Maintenir la prescription de nos ouvrages est primordial. » L'éditeur propose le plan Prescri+, qui se traduit notamment par des propositions de listes bibliographiques aux enseignants. Près de 78 % des étudiants en droit achètent leurs ouvrages sur recommandation d'un enseignant, selon une étude menée en mars par l'éditeur (167 répondants).

Les facultés peuvent également jouer un rôle à l'image de l'université de technologie de Compiègne (UTC), qui remet tous les ans le prix Roberval. Le concours distingue des œuvres « qui expliquent la technologie en langue française » dans différentes catégories, dont l'enseignement supérieur. Selon la directrice éditoriale de John Libbey Eurotext, Peggy Lemaire, ces sélections sont  « un bon indicateur ».

Impactée par la baisse généralisée de la prescription, elle mise sur son diffuseur : « Le succès des éditions Lavoisier (rachetées par John Libbey Eurotext en 2023, ndlr) est dû aux équipes commerciales et à l'énorme travail de Geodif, à travers sa capacité à mobiliser et à multiplier les initiatives avec les librairies. » Lors de ses opérations en librairie, l'éditeur mise sur des ouvrages plus grand public.

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Stéphanie Renaudin, responsable marketing, promotion et communication chez Dunod.- Photo OLIVIER DION

À la tête de Nouveau Monde Éditions, Yannick Dehée complète : « Nous sentons une frilosité de certains libraires envers les ouvrages pointus face aux ouvrages transversaux. » Il publie cet automne un titre à cheval entre le public universitaire et les amateurs d'histoire maritime (Europe entre les mers : de 9 000 av. J.-C. à l'ère viking). Mais sa démarche reste limitée : « La mise en place du poche est calée sur les ventes en grands formats, qui fonctionnent moins bien, parfois il faut se bagarrer pour avoir une visibilité suffisante dans les librairies. »

De son côté, Dunod organise avec environ dix librairies la deuxième édition des journées dédiées à la rentrée universitaire (13 au 20 septembre). À destination des lycéens et des étudiants, l'opération intègre des jeux concours.  « Nous travaillons sur le terrain main dans la main avec les librairies » , se réjouit Stéphanie Renaudin, responsable marketing, promotion et communication pour les catalogues Dunod et Armand Colin. Malgré ces opérations, la disparition des rayons universitaires au sein de nombreuses librairies, en raison des contraintes du marché, est un regret partagé par tous les acteurs.

Numérique, IA... Prendre le train en marche

Les plateformes d'ebook apparaissent comme un moyen alternatif de mettre en valeur son catalogue. Les éditeurs restent investis dans ce format, même si sa part reste minoritaire dans le chiffre d'affaires. Chez Lefebvre Dalloz, l'ePub (format ouvert standardisé pour les livres numériques) concerne environ 5 % des ventes. Anne-Laure Chaumeil Mennessiez, directrice adjointe du pôle édition, estime que « les usages n'ont pas encore basculé sur le marché français, l'ouvrage papier restant un support mémoriel qui n'a pas d'égal aujourd'hui ». La professionnelle cite en exemple la capacité à toucher le papier ou à l'annoter.

Toujours est-il que les éditeurs s'activent à rendre l'ePub accessible depuis le 28 juin. L'entrée en vigueur de la Directive européenne sur l'accessibilité concerne pour l'instant les nouveautés, avant de s'élargir dès 2030 au fonds. « Nous devons lever des contraintes techniques qui demandent un investissement important », note Sidonie Doireau, directrice éditoriale ouvrages chez Lextenso. Les éditeurs travaillent notamment sur l'adaptation de maquettes et les commentaires qui se substituent aux tableaux, schémas... L'objectif est d'intégrer cette accessibilité dès le départ. Pour Peggy Lemaire, chez John Libbey Eurotext : « Il faut sensibiliser en amont les auteurs. »

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Fanny Bouteiller, responsable d'édition aux PUF.- Photo OLIVIER DION

L'accessibilité a été prise en compte par Cairn lors de la refonte de son site en 2024. La plateforme continue de se développer puisque début 2026, une application mobile est attendue. Présent sur Cairn, John Libbey Eurotext souhaite renforcer ses synergies afin de créer un écosystème vertueux. L'une des pistes envisagées est de proposer un accès direct au moment de la publication.

La plateforme Numérique Premium a également réalisé une refonte récemment. Selon son fondateur et dirigeant, Yannick Dehée, l'année passée a été marquée par l'incertitude liée aux budgets des universités. Le vote de la dernière loi de finances a mené sur un an à une baisse d'un milliard d'euros du budget pour l'enseignement supérieur et la recherche. À titre d'exemple, la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne a connu une réduction d'environ 40 % de son budget annuel. Yannick Dehée indique « ne pas avoir vu d'effondrement ni de réduction drastique sur le numérique, mais le consortium Couperin a demandé des baisses de prix irréalistes dans le contexte de l'inflation et de l'augmentation des catalogues ».

Tous les ans, Numérique Premium négocie les conditions de vente des périodiques électroniques avec le consortium fondé en 1999. « Nous sentons une tension évidente sur les budgets et une incertitude chez l'ensemble de nos interlocuteurs », ajoute le responsable. Cairn n'a pas directement été impacté par la baisse du budget universitaire. La plateforme avait négocié de 2021 à 2026 un accord avec Couperin. Mais le site connaît une baisse structurelle du trafic qui a impacté le chiffre d'affaires et la redevance versée aux éditeurs. Baisse de trafic notamment imputée à l'essor de l'IA.

 Sophia, moteur de recherche amélioré

Celle-ci « est utilisée par tous les étudiants, note Rachel Duc, directrice du département Éducation grand public, aux éditions Hatier. Forcément c'est un sujet qui nous touche ». L'éditrice compte dévoiler un nouveau projet courant septembre. Pour l'instant, peu de maisons ont un processus établi. Le temps est plutôt à la réflexion et aux tests. « Nous ne pouvons pas passer à côté, l'usage se développe et nous devons aussi l'accompagner », insiste Héléna Alves, directrice éditoriale chez Lextenso.

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Yannick Dehée- Photo OLIVIER DION

Du côté éditorial, la méfiance est de mise en raison des contenus pillés ou rédigés par l'IA. La législation permet de faire de « l'opt out » : empêcher l'IA de reprendre un travail protégé « de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne ». Cette clause est proposée par exemple aux éditeurs lorsqu'ils négocient un contrat avec Cairn. La plateforme lance à la fin de l'année son IA conversationnelle Sophia pour les abonnés de BU et Cairn Pro.

Adossé au moteur de recherche, l'outil sonde le corpus de Cairn pour formuler des réponses qui ne seront pas forcément synthétiques. « L'idée n'est pas de travestir les textes, ni de décourager la lecture du texte intégral. Notre objectif est de ramener les utilisateurs vers le profil de l'auteur et ses citations », détaille Pauline Rébéna, responsable des relations éditeurs de Cairn. Sophia garde ses données sur les serveurs internes. Un gage de réassurance pour les éditeurs. Avant d'être décrypté par une machine, un texte est toujours scruté par les éditeurs. Chez Vuibert, un travail écrit par une IA a été démasqué. L'écriture serait reconnaissable à ses formulations pompeuses ou à la présence de « bullet points ». L'auteur l'a reconnu et a refait son travail. Gwénaëlle Bourron-Painvin espère, malgré la bulle exponentielle autour de l'IA, que les étudiants vont revenir à la valeur livre : « Nous voulons montrer l'utilité du papier dans l'apprentissage des étudiants. »

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