IAD, trois lettres pour Introduction aléatoire de données, Intervention anonyme du destin, Imagination automatique déphasée ? Le jeune héros du premier roman de Patrick Laurent est « un enfant IAD ». C’est la vieille grand-mère hongroise de l’étudiant en IA (Intelligence artificielle) qui lui balance ça de but en blanc. Baptiste Erdös, fils du linguiste Tomàs Erdös et de son épouse Jeanne, est né d’une « Insémination Artificielle avec Donneur ». Il ne manquait plus que ça - cette énorme bombe existentielle - pour compléter le tableau désolé de Baptiste : sa mère morte récemment d’une tumeur au cerveau, un père veuf inconsolable qui se terre dans la mélancolie en ruminant toute la journée, une aïeule quasi centenaire qui travaille du chapeau et parle aux morts… Le bel informaticien naguère plein de vie est devenu gris, exsangue, attaqué par des hallucinations que n’atténuent ni sa consommation généreuse de gin ni ses fréquentes prises de Lexomil. Images absurdes, cauchemardesques qui se superposent à son champ de vision et à ses sensations du moment… L’autre jour alors qu’il faisait l’amour avec Laure, la peintre pour qui il a l’habitude de poser, apparut au milieu de leurs ébats un homme en train de déféquer… Sont-ce les symptômes du même cancer qui emporta sa mère ou le début de la folie ? Une chose est sûre, Baptiste est obnubilé par « le biopère »,« le Bio », celui qui fit don de son sperme afin qu’il puisse naître. Tout en continuant à aller voir son « unique père », le linguiste atrabilaire, qui ne cesse de se plaindre de « son mauvais fils », l’étudiant déboussolé a l’obsession du « Bio ». Il interroge la mamie magyare piquée, mais pas complètement gaga, qui lui révèle la clinique où il est né… C’était avant l’informatique. Les archives relatives aux géniteurs anonymes sont au sous-sol. Voilà le Sherlock Holmes des gènes farfouillant dans les dossiers : le gamète mâle s’appelle Vincent Gaspiéry. Renseignements pris, le donneur habite avec une certaine Luna, rue de Rome, non loin du parc Monceau… La curiosité frénétique cède le pas à la tétanisante peur du réel : « La vie est comme une partie de marelle sur un champ de mines. Il faut y jouer avec l’insouciance des enfants, la précision des écureuils, l’instinct des taupes. Baptiste ne répondait plus à aucune de ces conditions. L’attente le clouait là, en plein milieu du temps, papillon épinglé sur un mur blanc. »
Patrick Laurent, scénariste de profession, sait raconter les histoires et a un sens du dialogue bien rodé. Mais dans Comme Baptiste, ce sont bien plus que les péripéties d’un jeune homme bouleversé par le secret de sa conception qu’il nous narre, l’auteur de ce premier roman explore les ressources que, seule, peut offrir l’écriture : la fluidité infinie de la langue, ses jeux, ses pirouettes. Cette quête du graal paternel visitée par les visions délirantes de son héros donne lieu à des scènes hautes en couleur et une galerie de portraits cocasses : le spécialiste du cerveau, adipeux dandy dont la femme est partie avec une autre femme et dont le fils est réalisateur porno ; la loufoque Luna, la sœur génétique qui lui promet de lui faire rencontrer le biopère à condition de s’associer d’abord à ses aventures à elle… Ce roman est avant tout une jolie réflexion sur la filiation : ce qui nous définit et ce qu’on peut transmettre, bref, l’élusive identité.
Sean J. Rose
