21 juin > Philosophie France > Christian Godin

Le lieu commun, c’est ce qui nous désespère et nous rassure à la fois. Cette bêtise brocardée par Flaubert et Bloy nous rassemble quelque part dans une niaiserie universelle. A force d’entendre parler de beauté intérieure, du fait qu’il y a du bon et du mauvais en tout, que le corps ne ment pas, qu’on ne tire pas sur une ambulance et que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, on finit par se sentir en terrain conquis. Mais on perd peu à peu cette gymnastique de l’esprit lorsque l’imprévu survient, lorsqu’il faut réfléchir autrement que par une succession de clichés. C’est bien ce qui inquiète Christian Godin.

Ce philosophe, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages dont La philosophie pour les nuls (First, 2007) et tout récemment de Ce que sont devenus les péchés capitaux (Cerf, 2018), dresse la liste de ces conforts intellectuels dans une version remaniée et actualisée de son Petit lexique de la bêtise actuelle (édition du Temps, 2007).

Avec lui nous cheminons entre la sottise et la niaiserie, entre la futilité la plus paresseuse et la stupidité notoire. Il faut dire que la bêtise est accueillante, surtout en termes d’adjectifs. Elle peut être abyssale, affligeante, atroce, consternante, crasse, hallucinante, incommensurable, incurable ou infinie. En revanche, elle se laisse difficilement circonscrire. Pour cela, l’un des bons moyens s’avère être le langage. A travers les quelque cent cinquante entrées alphabétiques, de "Acharnement" à "Volonté", Christian Godin présente cette grammaire balourde et endosse le rôle que Nietzsche attribuait aux philosophes: "nuire à la bêtise".

Avec humour, agacement et même un soupçon de mauvaise foi - mais la mauvaise foi témoigne quelquefois de la bonne santé intellectuelle -, il fait la visite de ces lieux communs en les piétinant allègrement. Il n’y va pas de main morte contre Guy Debord et sa société du spectacle. "Pour quelle mystérieuse raison un marginal assez médiocre, triste sire et théoricien poussif, est-il devenu au fil des années une figure légendaire en France ?" Il s’insurge contre le fait que l’on pourrait rire de tout, mais pas avec n’importe qui. "On ne sort pas vraiment de la bêtise car, dans la réalité, on ne rit jamais avec n’importe qui. Lorsqu’on rit avec les autres (c’est la très grande majorité des cas), c’est le "avec" qui est important."

Avec la même énergie, il fustige le devoir de mémoire "vidé de son sens" et qui "n’est plus qu’un alibi ou un slogan", le politiquement correct, "revanche des milieux conservateurs" américains contre le libéralisme, ou le crime contre l’humanité dont "la banalisation de la notion aboutit à sa dilution". De même, lorsqu’on dit: "il y a du bon et du mauvais en tout", il demande: "Mais quel est le bon d’Auschwitz, et le mauvais d’une sonate de Mozart ?"

Christian Godin ne prétend aucunement avoir révélé les mystères de ces souverains poncifs. Son ouvrage fonctionne plutôt comme un vaccin, une mesure prophylactique contre le virus de la bêtise. Car une chose est sûre. Après cette promenade dans les sentiers battus, vous n’emploierez plus certaines expressions toutes faites. Laurent Lemire

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