Avant-critique Roman

Stéphanie Kalfon, "Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau" (Verticales)

Stéphanie Kalfon - Photo © Francesca_Mantovani/Gallimard

Stéphanie Kalfon, "Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau" (Verticales)

La narratrice de la nouvelle fiction de Stéphanie Kalfon relate le trouble qu'elle éprouve en retrouvant sa fillette, disparue pendant plusieurs heures un soir d'automne.

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Par Sean Rose
Créé le 20.01.2023 à 09h00

Est-il pire terreur, enfant, que d'avoir perdu sa mère dans la rue... alors qu'on se promenait avec elle en lui tenant la main ? Ce sentiment d'abandon est un désarroi sans nom. Mais dans quel gouffre d'anxiété plonge, pour sa part, le parent qui a égaré son enfant ? La rationalité d'une conscience adulte, loin de calmer ses anciennes peurs enfantines, les ravive en projetant sur le grand méchant loup de contes de fées le visage des plus atroces faits divers : on n'ose imaginer l'inimaginable. Et pourtant... La narratrice du nouveau roman de Stéphanie Kalfon, Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau, relate cette « nuit du neuf novembre deux mille deux » où elle et Paul, père de leur fille Nina, emmènent la petite à la fête foraine pour son anniversaire. Il aura suffi d'un peu d'inattention, ce moment où elle n'avait d'yeux que pour Paul au stand de tir visant le ballon. Bing. Dans le mille. Bravo ! La seconde d'après, plus de Nina. La panique : « Je cours, j'appelle, je nage à contre-courant de la foule électrique, je traverse des forêts de bruits, de jambes et de bras hirsutes, des gueules indifférentes ou horrifiées, des visages laids, gras, suintants, avec leurs yeux en formes de boule à facettes. » Les « On va vous la retrouver, madame » des policiers ne la rassurent en rien. Quant à Paul, il est abasourdi, répondant aux agents de manière mécanique. Et l'héroïne de sentir une extrême solitude s'abîmer dans la brèche qu'a ouverte en son for intérieur comme une plaie la disparition de l'enfant. Paul est à côté, et pas là. « C'est idiot mais je remarque qu'il ne me prend pas la main. Et c'est la seule chose dont je me souviens. Cet acte manquant et nos corps immobiles. » Mais ce qu'eût pu suggérer l'incipit est un faux départ. Quelques heures plus tard, Nina est de retour saine et sauve. Le mystère est d'emblée résolu. La fillette avait suivi un chaton mais, ayant pris peur en chemin, elle s'était réfugiée dans les sanisettes d'un chantier où elle était restée bloquée jusqu'à ce qu'un ouvrier, au petit matin, la délivre. Le suspense n'est plus. S'y substitue une tout autre inquiétude qui fait tourner les pages de cette fiction à l'angoisse magnétique. On a retrouvé Nina mais c'est la mère qui confie qu'elle ne la retrouve plus, ou est-ce elle-même qu'elle ne retrouve plus face à sa progéniture ? C'est qu'elle, Emma, professeure aux Beaux-Arts, connaît le secret des formes, elle est experte ès physionomies, surtout des traits de Nina. « Cette enfant assise à l'arrière de notre voiture porte le visage de Nina : elle est attendrissante comme elle, mais c'est une imposture. Je le sais autant qu'elle vient d'avoir huit ans et que je suis sa mère. Je le mesure au fait que mon cœur en sa présence ne sourit pas. Paul m'attrape la main, je sursaute, il soupire, entrouvre sa fenêtre, l'air glacial s'engouffre à nouveau. La tristesse aussi. » Stéphanie Kalfon, par la voix déraillée de son personnage prénommé comme la fameuse héroïne flaubertienne, nous entraîne dans le vortex de la folie d'une femme qui se rend compte qu'elle se serait peut-être trompée depuis le début. La main de son mari ne retiendra plus Emma. Elle ne veut plus de cette « fausse famille ».

Stéphanie Kalfon
Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau
Verticales
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18,50 € ; 208 p.
ISBN: 9782072994852

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