15 novembre > Photographie d’art France

Ed Alcock- Photo ESTELLE BARREYRE/TERRE BLEUE

Plus tout à fait enfant, pas encore adolescent. Ni homme, ni garçon : hobbledehoy. C’est par ce mot de vieil anglais que le père d’Ed Alcock désignait cet état intermédiaire que traversent les enfants peu après leurs dix ans. C’est aussi le titre du poème de Winthrop Mackworth Praed, que le photographe de presse anglais a placé en exergue de son livre, qui croise la force grave des photos de famille et la mélancolie tranquille d’un album de vacances heureuses.

Trois temps, deux étés, une année d’intervalle, et dans le cadre son fils, Nino, seul ou avec sa mère. Le premier et le dernier lieu de ses clichés est solaire, minéral - une côte méditerranéenne (Grèce ?). L’autre, mouillé et d’un vert foisonnant - un jardin de l’Ouest (Normandie ? Angleterre ?). Quel que soit le décor, ces deux-là ont l’air seuls comme au premier matin du monde, pris dans une bulle d’intimité essentielle, dans une proximité physique évidente. Leur amour rayonne dans ce temps compté, celui d’avant l’éloignement, où la mère (et le père photographe, aussi bien) a accès au corps d’un fils pas encore « dépouponné », qui peut encore s’allonger de tout son long, peau à peau sur le ventre de la mère. Mais dans la chaleur, l’abandon à l’oisiveté paisible des vacances, il y a cette métamorphose lente, silencieuse, irréversible à l’œuvre. Et quand, face à la mer, la mère tend le bras pour poser sa main sur la tête de son fils, on voit déjà l’amorce d’un léger mouvement de retrait, de dérobade au toucher. « Les enfants c’est comme les années, on ne les revoit jamais », disait Céline.

Emmanuel Carrère, dont le récit ouvre Hobbledehoy, n’a pas écrit un texte de commande, de présentation. En regardant les photos, il s’est souvenu d’une histoire. De « vacances pourries » dans une maison de location dans les Alpilles. D’une « pièce interdite » où le propriétaire avait entreposé ses affaires personnelles, dans laquelle l’écrivain désœuvré a trouvé un « gros paquet de photos ». Sur ces photos en noir et blanc, un jeune homme, une jeune femme et deux petites filles, jamais photographiés tous les quatre ensemble. Une belle famille. « Je me disais qu’un bonheur si manifeste appelait la présence d’un témoin », se justifie Carrère. Témoin, le photographe est aussi exactement dans cette position. Voyeur familier, sans effraction. Il ne vole rien sinon du temps suspendu, rare, qui ne reviendra jamais. Véronique Rossignol

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