BD/France 2 nov. Luz

Dès mai 2015, quatre mois après les assassinats qui, le 7 janvier, ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo, Luz tentait dans le bouillonnant Catharsis (Futuropolis) d'exorciser ses souffrances et son sentiment de culpabilité. Le dessinateur a miraculeusement échappé à la mort en arrivant par hasard, le jour fatidique - celui de son anniversaire -, en retard à la rédaction. Par la suite, pour tourner la page, il a quitté l'équipe du journal satirique en septembre de la même année. Il a adapté en bande dessinée le récit d'Albert Cohen, Ô vous, frères humains (Futuropolis, 2016), narré les souvenirs d'un petit chien mort-vivant (Puppy, Glénat, 2017), évoqué en feuilleton dans Les Cahiers du cinéma le tournage de Misfits de John Huston. Il revient pourtant à Charlie avec un ambitieux récit autobiographique.

Ses souvenirs sont indélébiles, comme cette encre qui lui collait aux doigts tant il tenait ses feutres près de la pointe, et qui justifie le titre de son livre. Ils sont aussi beaux et drôles, de la première rencontre avec Cabu - décisive puisque l'auteur du Grand Duduche l'a introduit à La Grosse Bertha avant de l'entraîner dans la relance de Charlie Hebdo, alors que Luz n'a encore que 21 ans - à une étonnante immersion dans une soirée SM. Il y a la première manif et la première drague, l'arrestation en Bosnie lors d'une tournée du chanteur Renaud, le stand Charlie à la Fête de l'Humanité, où Luz est mis au défi par un militant communiste de dessiner sur son pénis, le reportage dans une cité dont le dessinateur ne parvient à s'extraire que parce qu'il est l'ami de Cabu (le rigolo que tout le monde a vu à la télé avec Dorothée dans « Récré A2 ») ou l'infiltration dans la section RPR du 13e arrondissement de Paris.

Le dessinateur raconte d'un trait ultra-mobile, jeté dans l'urgence comme pour ses dessins de presse, épuré ou au contraire détaillé, parfois posé façon carte à gratter, sur fond noir, ou répandu à grands jets, entre test de Rorschach et calligraphie chinoise. Et il ponctue ses souvenirs, en noir et blanc, de très brèves et émouvantes planches en couleurs dans lesquelles un Luz solitaire et accablé, souvent nu et vulnérable, donne libre cours à une mélancolie irrémédiable.

Car derrière ce recueil d'histoires, il y a surtout l'album d'une famille dépeuplée. Défilent les morts et les vivants, Charb et Tignous, Riss, Catherine Meurisse, Gébé, Philippe Val, Honoré, Bernard Maris, Jul, Wolinski et d'autres que l'on voit travailler et rire autour de la table à dessin. Et surtout Cabu. Cabu, le discret et si prévenant mentor, capable de dessiner en gardant son carnet dans sa poche, mais perdu devant une photocopieuse. De la première à la dernière page, Indélébiles lui rend un hommage profondément touchant.

Luz
Indélébiles
Futuropolis
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 24 euros ; 320 p. en coul.
ISBN: 9782754823982

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