Maître de conférences honoraire en sciences de l'information et de la communication à Villetaneuse (Paris- 13) et membre du bureau de la revue de la communication du CNRS Hermès, Brigitte Chapelain, qui a cosigné en septembre 2018, avec Sylvie Ducas, Prescription culturelle : avatars et métamorphoses (Presses de l'Enssib), analyse les nouvelles formes de prescriptions dans le domaine du livre.
Aujourd'hui, les services de presse des maisons d'édition ne s'adressent plus uniquement aux journalistes. Quels sont les acteurs de la prescription littéraire ?
Le numérique a reconfiguré la prescription littéraire sans se substituer aux instances traditionnelles comme la presse papier et surtout la radio, la télévision laissant de moins en moins de place à la littérature. Cette reconfiguration implique une réorganisation communicationnelle, de nouvelles écritures et des accès inédits à l'information littéraire.
Le lecteur internaute amateur blogueur, booktuber ou bookstagrammeur, s'affranchissant des médiations conventionnelles en matière de littérature, apparaît comme une nouvelle figure d'autorité : il adopte les codes des médiatisations numériques et développe des pratiques communautaires.
Comment s'organise cette prescription ?
L'économie de l'attention oriente les stratégies développées, en particulier sur Internet, pour susciter l'intérêt, l'adhésion et la décision de l'acquisition d'un livre. Il s'agit de transformer l'attention captée en intention d'achat.
Depuis leur apparition en 2007, les blogs de lecture majoritairement tenus par des femmes jeunes adultes ont considérablement évolué dans leur forme et leurs pratiques communautaires (challenges, book clubs et swaps) : veille de l'actualité de la blogosphère littéraire, gestion des outils sociaux et du contenu des posts, maintien de l'interactivité avec les abonnés, organisation d'événements, de rencontres et de prix ressemblent aux tâches d'un community manager « littéraire ».
Ces nouveaux prescripteurs ont-ils les mêmes objectifs que ceux issus des médias classiques ?
Ils partagent en gros les mêmes objectifs d'information sur la littérature et de recommandation sur la lecture. Mais les prescripteurs des médias classiques sont des experts ou des professionnels du journalisme culturel. Les amateurs, eux, passent de stratégies d'incitation et de recommandation à celles de la construction et de la réputation de leurs propres marques (personal branding). Les enjeux culturels restent liés à des enjeux économiques.
La prescription littéraire faite par les experts se trouve concurrencée par celle d'amateurs qui eux-mêmes deviennent des références dans le domaine, se créent une réputation et sont reconnus comme de nouveaux experts.