Manifestation

Un Salon du livre 2013 très politique

Lundi matin sur le stand du CNL, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, dévoile son plan pour le livre. - Photo Oliveier Dion

Un Salon du livre 2013 très politique

Rassemblant des professionnels plus tendus et des visiteurs moins dépensiers mais toujours aussi nombreux, le 33e Salon du livre de Paris a rasséréné les éditeurs. Il reste une caisse de résonance inégalée, ce qu’ont bien compris les politiques.

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Par Cécile Charonnat,
Clarisse Normand,
Laurence Santantonios,
Véronique Heurtematte,
Hervé Hugueny,
Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 14.04.2014 à 16h01

Traditionnel rendez-vous des lecteurs, le 33e Salon du livre de Paris, qui s’est tenu du 22 au 25 mars, a revêtu cette année un caractère très politique. Inaugurés pour la première fois depuis cinq ans par le président de la République, ces quatre jours ont été ponctués d’annonces gouvernementales importantes pour la profession, avec en point d’orgue le dévoilement du très attendu plan en faveur de la librairie indépendante. Annoncé par la ministre de la Culture lors de la matinée professionnelle, lundi 25 mars (voir p. 20), il a d’ailleurs ravi la vedette aux traditionnels petits-déjeuners organisés par les éditeurs.

Les hommes et les femmes politiques ont été particulièrement nombreux à se presser sur les stands, telles Christiane Taubira, Anne Hidalgo, candidate à la Mairie de Paris, et Roselyne Bachelot qui ont dédicacé de concert chez Flammarion. François Bayrou était présent chez Plon, Bruno Le Maire chez Gallimard, François Baroin chez Lattès, et Jeannette Bougrab chez Grasset, assurant ainsi des ventes dans une édition contrastée et marquée par la frilosité des achats malgré un public toujours nombreux. Dans les allées, on a pu aussi croiser Manuel Valls, Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Bertrand Delanoe, Jack Lang…

 

 

Une fréquentation stable…

 

Dans leur communiqué final, les organisateurs annoncent 190 000 entrées, un chiffre équivalent à celui affiché l’année dernière. Du côté de la jeunesse, Nathalie Brisac, responsable de la communication de L’Ecole des loisirs, salue le retour des scolaires le vendredi et le lundi après-midi, qui sont venus en masse dépenser leurs chèques-lire sur les stands, faisant de ces quatre jours « un très bon cru, avec un vendredi explosif, qui nous amène un résultat global positif ».

 

 

… mais des ventes en berne

 

Malgré tout, les visiteurs se sont montrés parcimonieux. Chez Glénat, pourtant très bien placé à proximité de l’exposition célébrant les 20 ans de Titeuf, on note une baisse du panier moyen. Lorsqu’il se maintient, comme chez Gallimard, où l’on dépense en moyenne 22 euros, c’est le bilan total qui n’est pas au rendez-vous. L’éditeur affiche ainsi un léger retrait de ses ventes. « Au final, il s’agit plus d’une opération de communication pour l’éditeur, qui est souvent déficitaire, analyse David Strepenne, directeur commercial de Fayard. On fait surtout en sorte que ce soit rentable pour la librairie avec qui nous avons décidé de travailler. Et ça l’est. » Globalement, les éditeurs parviennent à maintenir un chiffre à peu près stable et cela grâce aux dédicaces, dont le poids devient de plus en plus déterminant. «Si l’on retire les deux signatures exceptionnelles que nous avions eues l’an dernier, celles de Catherine Nay et d’Anne Sinclair, nous sommes en légère progression. Par contre, si on les intègre, nous sommes à - 30 % », confirme Jean-Marc Levent, directeur commercial de Grasset.

 

 

L’effet « vu à la télé »

 

L’effet médiatique a joué à plein. Ainsi, Aymeric Caron, chroniqueur dans l’émission « On n’est pas couché » et auteur de No steak, permet à Fayard d’afficher un très léger gain. Dans la même veine, les deux tomes du Journal d’un mythomane de Nicolas Bedos sont partis comme des petits pains. Chez Lattès, on enregistre 45 % de ventes supplémentaires grâce à Grégoire Delacourt, qui a dédicacé 200 exemplaires de son nouveau roman, La première chose qu’on regarde. Tatiana de Rosnay, tête d’affiche des éditions Héloïse d’Ormesson, a écoulé plus de 350 exemplaires de A l’encre russe. Résultat : + 22 %.

 

La prime aux poches

 

Logiquement, le petit format tire particulièrement bien son épingle du jeu. Chez Actes Sud, les différents titres de Babel soutiennent le chiffre d’affaires de la partie pour adultes, « quasi stable », annonce Laetitia Ruault, directrice commerciale. Au Livre de poche, qui fêtait ses 60 ans avec une exposition au salon, les ventes «ont augmenté de 25 % par rapport à l’année dernière, non seulement avec les best-sellers attendus, mais aussi sur le fonds de catalogue, souligne Sylvie Navellou, directrice marketing. Certains ont profité du salon pour faire leur stock de lectures, comme ce client qui nous a acheté 55 livres dimanche. »

 

 

Un public curieux

 

Friands de rencontres, de partage et d’originalité, les visiteurs se sont pressés aux conférences et aux animations, comme le match d’improvisation littéraire, le « K-O des mots », qui s’est déroulé dimanche sur la grande scène et qui a rassemblé plus de 200 personnes, ou la conférence des Femen. Du côté du numérique, l’intérêt reste manifeste. «Les gens sont avides de conseils et de démonstrations », indique Elodie Perthuisot, directrice du livre de la Fnac, qui tenait pour la première fois la librairie du pays invité, la Roumanie, et de la ville mise à l’honneur, Barcelone. L’enseigne avait également pris un stand spécifiquement consacré à sa liseuse et revendique d’ailleurs l’écoulement de plusieurs centaines de machines et des ventes satisfaisantes pour les pays invités.

 

 

Le Square culinaire attire les foules

 

Les 600 m2 dédiés à la gastronomie sous toutes ses formes ont attiré les foules. Du coup, et même si certains points de l’organisation, comme l’absence de buffet le soir de l’inauguration ou le télescopage entre les différentes animations, restent à revoir, tous les participants étaient enchantés. « On s’est beaucoup amusé, on a beaucoup travaillé et on a beaucoup partagé », s’enthousiasme Anne Martinetti, coordinatrice du Square culinaire. Un plaisir qui s’est clairement retrouvé dans les ventes. Emmanuel Konstantin, responsable de la librairie Eyrolles chargé des stands Hachette Pratique, Marabout et Larousse, et des tables d’exposition, reconnaît avoir été très vite dévalisé et avoir dépassé son objectif de 20 %.

 

 

De moins en moins professionnel

 

Si les éditeurs et les producteurs se sont encore pressés aux 5es Rencontres Scelf de l’audiovisuel, qui ont suscité plus de 800 rendez-vous, le Salon du livre a attiré moins de professionnels. Les bibliothécaires, notamment, assurent qu’ils ne se retrouvent pas dans la nouvelle formule, plus resserrée (voir p. 21). < C. CH.

 

Un plan qui satisfait les libraires

 

Bien accueillies, les premières mesures du plan de soutien à la librairie annoncées par la ministre de la Culture n’ont pas comblé toutes les attentes.

 

L’espace Roumanie et son arbre rouge.- Photo OLIVIER DION

Programmé lundi 25 mars pendant la matinée professionnelle, le discours de la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, sur le plan de soutien à la librairie, figurait parmi les rendez-vous les plus attendus du salon. Devant une centaine de professionnels, elle a révélé « quatre mesures opérationnelles » :

1. L’instauration « au plus vite » d’un fonds d’avance en trésorerie de 5 millions d’euros, placé sous la responsabilité de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC).

2. Le versement de 4 millions d’euros supplémentaires à l’Adelc en vue d’aider les transmissions d’activité.

3. La nomination d’un médiateur du livre pour favoriser les bonnes pratiques (respect du prix unique du livre papier et numérique, conciliation des litiges portant sur l’activité éditoriale des éditeurs publics, actuellement confiée à la médiatrice de l’édition publique).

4. L’élargissement du pouvoir des agents du ministère qui leur permettra, à côté du médiateur, de constater les infractions aux lois de 1981 et 2011 sur le prix unique.

Elle a également annoncé la poursuite du travail engagé pour constituer un fonds complémentaire de soutien pour les librairies, évoquant même une finalisation d’ici à l’été si les acteurs de la filière, censés alimenter ce fonds qui ne devra rien coûter à l’Etat, se montrent responsables et coopératifs.

 

 

« Ce plan fera date. »

A côté de la mobilisation des 9 millions d’euros qui seront rétrocédés aux libraires sous forme de prêt, Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF), a tout particulièrement salué le projet de constitution de ce dernier fonds. « C’est la mesure phare du plan annoncé par la ministre », a-t-il déclaré, considérant que si le fonds parvenait à être doté d’une vingtaine de millions, via par exemple la contribution de l’interprofession qui pourrait réinsuffler l’argent de la baisse de la TVA de 5,5 % à 5 % au 1er janvier 2014, il permettrait de remplir l’objectif initial de redonner deux points de rentabilité aux libraires. « Le plan proposé par Aurélie Filippetti en faveur de la librairie est le plus concret et le plus structuré qu’il y a eu depuis dix ans, remarque-t-il. Si l’ensemble des mesures est appliqué, il fera date. »

 

Par ailleurs, dès le lendemain de l’allocution de la ministre, le SLF a fait paraître un communiqué pour se féliciter des premières mesures annoncées, soulignant que «ce plan s’appuie sur plusieurs des propositions portées par le SLF, il y a un an, auprès des candidats à l’élection présidentielle». Sur le terrain, les libraires se montrent eux aussi plutôt satisfaits. «C’est tout à fait l’accompagnement que l’on peut attendre d’un Etat », estime notamment Renny Aupetit (Le Comptoir des mots, à Paris, directeur associé de Lalibrairie.com et Lageneraledulivre.com).

Selon un sondage lancé le 26 mars par Livres hebdo.fr, la mesure la plus appréciée était, lors du bouclage de ce ce numéro, le 27 mars, le fonds d’avance en trésorerie pour près de 50 % des participants. Et pour cause. Elle répond directement à leurs préoccupations financières actuelles.

Si la plupart des libraires estiment que les mesures vont dans le bon sens, certains ne cachent pas une certaine déception face à l’absence de propositions sur le problème des loyers en centre-ville et sur celui de la gratuité des frais de port octroyés par les grands sites de vente en ligne (voir p. 53). Comme il s’en est expliqué dans Le Midi Libre, Benoît Bougerol (La Maison du livre à Rodez) aurait également souhaité que la ministre aille plus loin en supprimant le rabais de 5 % consenti sur le prix unique et lance un vrai programme pour la lecture. Le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC), qui a participé aux groupes de travail constitués par la ministre, regrette lui que le plan soit surtout destiné au SLF et à l’Adelc. Jean-Luc Treutenaere, président du SDLC, le considère toutefois comme «une première étape ». «Nous aussi sommes indépendants, et plusieurs chaînes sont elles aussi en difficulté : il ne serait pas normal d’aider des librairies indépendantes et pas Virgin ou Chapitre », précise-t-il, souhaitant «continuer à apporter des idées ». < Clarisse Normand

 

Des bibliothécaires marginalisés

 

Les bibliothécaires, moins nombreux que d’habitude, regrettent la disparition d’une vraie journée professionnelle.

 

Débat autour du livre Evaluer la bibliothèque (ECL). De g. à d.: Pierre-Yves Renard, Valérie Alonzo, Martine Poulain, Iegor Groudiev.- Photo OLIVIER DION

« Nous venons surtout pour découvrir les livres, c’est un bon rendez-vous pour nous de ce point de vue. Mais il n’y a plus vraiment de journée professionnelle au salon. C’est dommage. » Cette remarque d’une bibliothécaire lyonnaise reflète les avis des bibliothécaires venus au Salon du livre 2013. Cela dit, les quelques rencontres organisées pour la matinée professionnelle du lundi - une conférence des éditions du Cercle de la librairie sur le thème de l’évaluation, une table ronde dans l’espace Agora du CNL sur le prêt de livres numériques… - ont fait salle comble. Preuve que les confrontations et les échanges d’expériences entre professionnels, qui faisaient l’objet d’une programmation nettement plus riche les années précédentes, répondent à une attente. Sur le stand de l’ABF, très excentré, où l’on constatait moins de visites qu’auparavant, on se consolait en évoquant la fréquentation virtuelle, en l’occurrence le premier bilan d’Agorabib.fr, le forum de discussion qui prend le relais de Biblio.fr : plus de mille professionnels se sont inscrits au cours des trois premières semaines de fonctionnement.

La question du prêt de livres numériques en bibliothèque, qui divise secteur marchand et secteur public comme à l’époque du droit de prêt, a été omniprésente. Avec comme introduction, le premier jour du salon, les résultats peu optimistes de l’étude internationale Idate sur les offres commerciales de livres numériques aux bibliothèques (voir p. 55). Sur le stand de Dilicom, un peu d’espoir grâce au projet interprofessionnel PNB, qui devrait entrer en phase d’expérimentation au début du mois d’avril avec une dizaine de libraires, une dizaine de bibliothécaires et plusieurs distributeurs - Eden Livres, E-Plateforme, Immatériel, Izneo, De Marque - qui ont promis une offre test de contenus « consistante et représentative » complétée par de nouveaux services d’Electre, susceptibles de s’intégrer à Electre.com et de s’interfacer avec Dilicom.
Laurence Santantonios et Véronique Heurtematte

 

Paradoxale effervescence numérique

 

La réalité commerciale reste toujours très en deçà de ce que les annonces laissent croire.

 

Affiche sur l’espace numérique.- Photo OLIVIER DION

C’est devenu une habitude : chaque salon soulève une vague d’annonces et de conférences relatives au numérique sans commune mesure avec des ventes dont l’envolée se conjugue encore au futur. Le nombre de lecteurs de livres numériques a certes triplé depuis un an, à 15 % des répondants au sondage SGDL-SNE-Sofia, mais 44 % d’entre eux reconnaissent acquérir la plupart de leurs titres gratuitement… Néanmoins, le secteur s’organise.

L’accord auteurs-éditeurs qui ouvre l’adaptation du contrat d’édition à l’ère numérique a été signé la veille de l’ouverture du salon, et la base ReLire de titres indisponibles à numériser a été ouverte le même jour.

A côté des Assises numériques du Syndicat national de l’édition, l’International Digital Publishing Forum (IDPF) a tenu une première conférence à Paris, portée par une récente vague d’adhésions d’acteurs français du livre à ce consortium qui définit la norme ePub, jusqu’alors presque purement américain. Elle était aussi payante, une première pour une manifestation de ce genre en France.

La création du consortium Readium, chargé de fournir les outils nécessaires au développement d’applications de lecture du format ePub3, a aussi été annoncée depuis le salon. C’était en partie une coïncidence, mais ce qui l’était moins, c’est la proportion d’entreprises françaises parmi les membres fondateurs : 8 sur 26. L’enjeu, c’est l’ouverture au numérique de tout le catalogue des ouvrages illustrés (pratique, beaux livres, jeunesse, BD, scolaire), qui supposent une mise en page structurée : l’ePub3 y est mieux adapté que les versions précédentes, dont les fonctionnalités suffisaient à la littérature générale.

Cette norme correspond aussi très bien aux tablettes tactiles, dont le parc est 10 fois supérieur à celui des liseuses, moins élaborées. Par ailleurs, Apple apparaissant moins prédateur qu’Amazon, la concurrence dans l’univers des tablettes semble plus ouverte, ce qui rassure les éditeurs. Ils avancent toutefois toujours prudemment, à l’abri de prix et d’une offre sous contrôle. Il est ainsi révélateur qu’il n’existe toujours pas de base exhaustive du livre numérique, et qu’aucune annonce en ce sens n’ait été faite au salon.
Hervé Hugueny


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