6 septembre > Roman Allemagne > Juli Zeh

La lande au sud-ouest du village d’Unterleuten dans le Land du Brandebourg, la province qui entoure Berlin sur le territoire de l’ex-RDA, est le lieu de reproduction des combattants variés, une espèce de volatiles rare. Un espace protégé sur lequel veille Gerhard Fließ, la cinquantaine fringante, ancien professeur de sociologie, qui travaille pour la ligue locale de protection des oiseaux, depuis son installation dans une maison avec jardin à la périphérie du petit bourg avec Jule, une de ses anciennes étudiantes de vingt ans sa cadette, et leur bébé de six mois. Le couple de néoruraux a classiquement déserté la grande ville, attiré par la promesse d’une vie saine à la campagne. Mais quand s’ouvre Brandebourg, une journée de l’été 2010, l’air vicié par les fumées d’un feu de pneus allumé par un voisin malintentionné rend irrespirable leur petit paradis. Bienvenue à Unterleuten, deux cents âmes, son église, son bistro. Mais ne cherchez pas ce patelin allemand sur une carte : Juli Zeh l’a inventé, tout comme les profils de la douzaine d’habitants dont on suit les déboires et les intrigues.

Ambiance bucolique en dehors, délétère en dedans, Unterleuten - littéralement : "entre les gens" - est le royaume de l’entre-soi. Lois non écrites, petits arrangements entre amis voire entre ennemis, vieilles histoires dont il est bien difficile de séparer les faits réels des rumeurs colportées et entretenues, les membres de la petite communauté sont liés par des jalousies, des rivalités et même de véritables haines héritées d’avant la chute du Mur, comme l’"hostilité vieille d’un demi-siècle" et de notoriété publique que se vouent deux natifs, acteurs influents de la vie du village : le gros propriétaire terrien Rudolf Gombrowski, sorte de parrain local et principal employeur du coin, et son ex-camarade Kron. "Les villages comme Unterleuten avaient survécu à la RDA et savaient comment garder l’Etat à distance. Les habitants d’Unterleuten réglaient leurs problèmes à leur façon. Ils les réglaient entre eux." Et les problèmes ne manquent pas, le dernier en date concernant un projet d’implantation d’éoliennes sur la commune qui va tendre autant que reconfigurer les rapports de force entre les habitants.

Satire sociale ironique mais sans bons ni méchants, Brandebourg est une fresque pastorale à suspense qui plonge dans la réalité de l’Allemagne contemporaine - l’après-réunification notamment - mais dissèque plus largement le fonctionnement d’une microsociété humaine occidentale, incarnant toutes les questions : conflit entre ville et campagne, agriculture versus écologie, cohabitation entre autochtones et étrangers, spéculation foncière, lutte de pouvoir, confrontation des intérêts individuels et des politiques collectives…

Dix ans après son entrée percutante sur la scène littéraire avec La fille sans qualités, l’écrivaine de 43 ans dont on reconnaît ici encore le style incisif et la puissance critique scrute un microcosme témoin qui a l’ampleur d’un monde. Plan cadastral de la bourgade, fiches d’identité des habitants, sites Internet en lien avec certains protagonistes du roman…, le livre se déploie en outre hors de ses pages sur www.unterleuten.de. Pour une visite complète, car Unterleuten vaut le détour. Véronique Rossignol

25.08 2017

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