Les opposants à la loi sur les indisponibles — votée le 1er mars dernier et en attente d’un décret d’application — brandissent plusieurs arguments juridiques. Parmi ceux-ci, le plus solide est lié au dispositif qui demande aux auteurs de manifester leur opposition à la numérisation et à l’exploitation de leur œuvre. Le texte voté (qui doit encore être précisé par un décret en Conseil d’Etat) prévoit en effet : «  L'auteur d'un livre indisponible ou l'éditeur disposant du droit de reproduction sous une forme imprimée de ce livre peut s'opposer à l'exercice du droit d'autorisation (tel que formulé dans la même loi sur les livres indisponibles) par une société de perception et de répartition des droits agréée. Cette opposition est notifiée par écrit à l'organisme mentionné au premier alinéa de l'article L. 134-2 au plus tard six mois après l'inscription du livre concerné dans la base de données mentionnée au même alinéa  ». Or, la protection des œuvres de l’esprit n’exige, en droit français, l’accomplissement d’aucune formalité. L’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Il en est de même à l’article 5 de la Convention de Berne, à laquelle la France est adhérente : «  La jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité  ». L’auteur et, par la suite, son éditeur se verront reconnaître une protection efficace sans avoir besoin de recourir à un dépôt ni à un quelconque enregistrement. Les États-Unis connaissaient jusqu’en 1989, date de leur adhésion à la Convention de Berne, un système de dépôt des œuvres conditionnant leur protection. Le droit d’auteur français est également distinct sur ce point d’avec les autres mécanismes de protection des créations intellectuelles, tels que le droit des marques, des brevets, des dessins et modèles, etc. Certains dépôts obligatoires, tel le dépôt légal, subsistent à la charge des éditeurs. Mais l’accomplissement de ces formalités reste totalement indépendant de l’attribution d’une protection par le droit d’auteur. Il en est de même pour les dépôts dans des sociétés d’auteurs, qui ne confèrent pas plus de droits que la preuve d’une antériorité. C’est donc la seule création de l’œuvre qui confère à son auteur une protection. Et, selon l’article L. 111-2 du CPI, « l’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception par son auteur ». L’apposition du symbole ©, qui était indispensable un temps aux États-Unis, ne confère plus aucun droit et sert tout juste en pratique à désigner le titulaire des droits et à indiquer que l’œuvre est protégée. Il s’agit au mieux d’une présomption de titularité des droits, mais qui peut être renversée par la preuve contraire. La seule matérialisation de l’œuvre, exempte de divulgation et donc de toute publicité, peut ultérieurement poser des problèmes de preuve pour ce qui concerne la date de création. Il est fréquent de voir s’écouler de nombreux mois entre l’émergence d’un projet de livre et son apparition sur le marché. C’est pourquoi, en pratique, auteurs et éditeurs ont recours à des techniques d’acquisition d’une date certaine de création qui permet, par la suite, de déterminer qui a réalisé le premier une œuvre. Les auteurs s’assurent ainsi d’une paternité certaine et les éditeurs procèdent à une sorte d’appropriation d’un projet dont les concurrents pourraient avoir également l’idée. Il va de soi que l’utilisation de ces techniques n’est envisageable qu’à partir du moment où l’œuvre est matérialisée. C’est ainsi que les éditeurs recourent fréquemment à une publication dans Livres Hebdo pour retenir un titre d’ouvrage ou de collection. De même peut-on procéder à un dépôt chez un notaire (qui l’inscrira dans ses minutes) ou chez un huissier (qui dressera un procès-verbal) pour acquérir une date certaine. Le recours à l’enveloppe Soleau constitue également une utile précaution à moindre coût. Cette enveloppe est vendue par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Elle permet de « sceller » des feuillets, limités en nombre, et de prouver l’antériorité de leur création. L’envoi à soi-même (par mail ou en recommandé) constitue la plus simple et la moins onéreuse des techniques d’acquisition d’une date certaine, sous réserve, bien évidemment, de conserver précieusement le message oui l’enveloppe cachetée, pour en faire examiner incontestablement le contenu par un huissier ou un expert judiciaire en cas de litige. Restent les sociétés de perception et de répartition des droits, dont le régime est fixé par les articles L. 321-1 à L. 321-13 du CPI, et qui, outre la gestion des droits, la récupération et le reversement des redevances, peuvent servir, pour la plupart d’entre elles, à effectuer un dépôt. Le débat, qui prendra peut être la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité, portera donc sur la portée des formalités d’opposition, afin de savoir si le futur dispositif est réellement contradictoire au CPI ; mais surtout à la Convention de Berne, qui lui est supérieure.
15.10 2013

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