Avant-critique Roman

Apprendre à vivre. Hanami signifie en japonais « regarder les fleurs ». Ainsi s'appelle la fête des cerisiers au printemps. Les gens de l'archipel nippon vont traditionnellement les contempler pour leur beauté qu'une rafale de vent peut détruire en un instant. C'est beau et fragile à la fois, beau parce que la beauté ne dure pas, c'est beau et ça inspire déjà le regret. Devant la grâce épanouie de ces roses pétales, on s'emplit du sentiment des choses - choses instables, précaires, fugitives... vouées à la mort. Au Japon, même la terre tremble. Et le sol risque bien de se dérober sous vos pieds.

Line, hôtesse de l'air française, fait escale à Tokyo à la période du festival des fleurs. La capitale japonaise est touchée par un séisme d'une magnitude inégalée de 9,5 sur l'échelle de Richter. Thomas, son petit ami prof à Paris, l'apprend aux informations. Line compte parmi les portés disparus. C'est l'angoisse. La semaine la plus longue. Puis le miracle. On l'a retrouvée vivante sous les décombres, ensevelie huit jours durant, ayant survécu en s'hydratant grâce à l'eau infiltrée des fortes pluies qui se sont abattues sur la ville. Thomas retrouve Line. Ils s'aiment mais ce n'est plus comme avant. Thomas est patient. Line souffre du syndrome de Lazare, qui se manifeste chez les survivants de catastrophe par la difficulté à renouer le contact avec leur entourage après s'être confrontés à leur propre fin. Les cauchemars hantent les nuits de Line. La culpabilité d'avoir survécu lacère sa conscience. Ces meurtrissures de l'âme renvoient à une plaie plus ancienne encore, que Line croyait refermée : le tremblement de terre a convoqué un fantôme longtemps enfoui dans les ténèbres d'un deuil profond et tu. Line avait 16 ans, Line était passionnée de danse, Line avait rencontré un garçon blond, son premier amour, un soir il prend sa moto, elle est à l'arrière, il fonce, c'est l'embardée, la mort au tournant, pour lui seulement...

Dans son deuxième roman, Insula, Caroline Caugant fait parler son héroïne « fille de l'air », non par sa seule voix (Line est peu diserte), mais par son corps tout entier, frêle, douloureux, tatoué de dessins de chagrins... Ponctué par de furtifs poèmes intérieurs tels des haïkus, le récit de cette danseuse brisée est celui d'un prodige : pas tant d'avoir échappé à la mort que de se réconcilier avec la vie, quitte à aller jusqu'au bout de sa solitude.

Caroline Caugant
Insula
Seuil
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 288 p.
ISBN: 9782021545791

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