Médecine

Dossier Médecine : le numérique sur ordonnance

Olivier Dion

Dossier Médecine : le numérique sur ordonnance

Marqué par les concentrations dont le rachat de Springer France par Lavoisier Médecine Sciences, le marché de l’édition médicale se voit également bouleversé par la perspective des épreuves sur tablette de l’Examen national classant à partir de 2016.

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Par Charles Knappek
Créé le 12.06.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 12.06.2015 à 10h20

Amorcé l’an passé, le mouvement de concentration de l’édition médicale s’est poursuivi en 2014. Après le rachat fin 2013 du fonds médecine de Wolters Kluwer France par Initiatives Santé (CDP éditions, Lamarre) et John Libbey Eurotext (Arnette, Doin, Pradel), c’est le fonds Springer en langue française qui est passé sous la bannière de Lavoisier Médecine Sciences en septembre dernier. Déjà en 2009, Lavoisier avait acquis le fonds médecine de Flammarion ; la maison dirigée par Patrick Fenouil renforce donc ses positions dans des domaines qu’elle couvrait peu jusqu’alors. "Le rachat de Springer nous a permis de développer une offre dans les secteurs où nous étions peu présents comme la cancérologie", explique Fabienne Roulleaux, directrice éditoriale chez Lavoisier Médecine Sciences. A terme, la marque Springer va disparaître et se fondre dans le catalogue de Lavoisier.

"Le rachat de Springer nous a permis de développer une offre dans les secteurs où nous étions peu présents comme la cancérologie." Fabienne Roulleaux, Lavoisier- Photo O. DION

Ailleurs aussi, les rachats continuent à produire leurs effets. Conséquence de la cession du pôle santé de Wolters Kluwer France (WKF) à John Libbey Eurotext (JLE) et Initiatives Santé en 2013, les nouveaux propriétaires ont dû procéder à des ajustements au niveau de leurs chartes graphiques. La collection "Mémo", en particulier, était transversale chez WKF, qui la déclinait aussi bien sous la marque Arnette (désormais chez JLE) que sous la marque Lamarre (acquise par Initiatives Santé). Les deux éditeurs conservent pour le moment les ouvrages dans leur version initiale, mais c’est Arnette qui, à terme, publiera seule les "Mémo". Lamarre va de son côté refondre les titres concernés de son catalogue et annonce une nouvelle maquette. Le premier titre de la nouvelle mouture de la collection, Transfusion sanguine, paraîtra en septembre.

"Nous n’aurons pas d’offre sur tablette en 2016. Nous serons présents, mais via d’autres supports de type appli ou site dédié." Patrick Bellaïche, Vernazobres-Grego- Photo O. DION

Nouvelles stratégies numériques

JLE sort d’une année dense avec l’intégration des marques Doin, Arnette et Pradel. "Nous avons pu mener à terme les projets qui avaient été initiés avant le rachat. Depuis, nous avons globalement conservé la même stratégie qu’à l’époque de WKF en nous concentrant sur les principales disciplines, comme l’anesthésie-réanimation et les urgences chez Arnette, la neurologie, la pédiatrie et la psychiatrie chez Doin", explique la directrice éditoriale, Valérie Parroco, qui signale également la création d’une mini-série, "Outils essentiels en méthodologie", chez Doin, avec des titres comme Larecherche médicale, La psychologie médicale, ou encore Calcul du risque génétique.

Sous la marque Pradel, JLE va également poursuivre l’acquisition de gros traités anglo-saxons en neurosciences ou en embryologie médicale, "très appréciés en France". En revanche, l’éditeur va lever le pied sur la collection de petits ouvrages "ECN med", dédiée aux Epreuves classantes nationales (ECN), qui sanctionne la 6e année d’études de médecine et l’entrée en internat. "C’est une collection qui demande d’être très bien positionnée sur ce marché, décrypte Valérie Parroco. Nous n’investissons pas pour le moment, et ce d’autant moins que le concours change en 2016 avec les épreuves sur tablette. "

Le nouveau concours de l’ECN, qui sera effectivement intégralement passé sur tablette tactile l’année prochaine, a conduit les éditeurs à reconsidérer leur stratégie. Ellipses, par exemple, s’il maintient toutes ses collections de livres papier, a noué un partenariat avec la société E-Formed autour du site Easyecn.com. Opérationnelle depuis la fin de l’hiver, cette plateforme est perçue comme un "outil complémentaire" par Brieuc Bénézet, directeur général d’Ellipses : "Easyecn.com est complètement indépendant d’Ellipses et il n’y a aucune contrepartie financière entre nous, explique-t-il. On est vraiment dans une logique de partenariat. " Le site a été développé par deux médecins déjà auteurs chez Ellipses et propose des dossiers progressifs, des questions à réponses ouvertes courtes (Qroc), afin de préparer aux nouvelles normes de l’examen. "C’est important de se préparer dans les conditions de l’examen, souligne Clément Lebreton, l’un des cofondateurs. Mais nous avons aussi conscience que les étudiants continuent d’utiliser les livres pour l’apprentissage. Le partenariat avec Ellipses est donc intéressant car il leur permet d’offrir quelques contenus gratuits aux étudiants. En échange, nous assurons de la visibilité à tous leurs ouvrages. "

Egalement dans une logique Web, Elsevier Masson va lancer "d’ici à la fin de l’année", selon Manuela Boublil-Friedrich, directrice du pôle acquisition livres, un nouveau site consacré à l’ECN. "Il y aura une proposition pour les enseignants. Les étudiants pourront évaluer leurs scores et nous proposerons des dossiers en ligne", détaille Manuela Boublil-Friedrich. Développée en interne, cette plateforme dont le nom n’a pas encore été choisi sera adaptée aux examens sur tablette, ce qui n’est pas le cas du site existant, E-ecn.com.

"Nous n’aurons pas d’offre sur tablette en 2016, indique pour sa part Patrick Bellaïche, P-DG de Vernazobres-Grego. Nous serons présents, mais via d’autres supports de type appli ou site dédié. " L’éditeur se concentre surtout sur la publication des ouvrages en vue du nouveau programme et occupe le terrain avec quatre collections déjà à jour : "IECN dossiers", "UECN en dossiers progressifs", "Mes premiers cas cliniques QCM", "UECN en questions isolées". "Sur le marché de l’ECN, Elsevier Masson avec les "Référentiels des collèges" et Vernazobres-Grego avec sa collection "KB" obtiennent de très bons résultats", rappelle Marielle Bousquet, responsable du rayon sciences et médecine à la librairie Privat de Toulouse.

Car si l’ECN se passera désormais sur tablette, les étudiants n’en continuent pas moins d’avoir recours au livre pour réviser et s’entraîner. C’est bien pour cette raison qu’Elsevier Masson a lancé l’an dernier une nouvelle collection "ECN intensif", adaptée au nouveau programme et proposant des compléments numériques. "Ce sont des livres qui se vendent bien, car ils sont en relation avec les collèges que détient Elsevier-Masson", observe Marielle Bousquet.

De la même façon, S-éditions a profité de la réforme pour lancer dès ce mois de juin une nouvelle collection intitulée "120 questions isolées". En tout, une vingtaine de titres qui seront vendus au prix unique de 11,90 euros sont annoncés. "Cette collection est davantage orientée vers les examens et les tests de connaissance, indique Arnaud Dupin, gérant de S-éditions. Elle répond à un besoin qui est né de la réforme des programmes. " L’éditeur a également refondu sa collection phare "Comprendre" pour coller au nouveau programme. Quant à Ellipses, il continue de s’appuyer sur la collection de cours "Réussir l’ECN" et les plus petites séries "L’ECN en fiches", "Cap ECN". L’an dernier, l’éditeur avait lancé une nouvelle collection "Juste pour l’ECN", qui comme son nom l’indique s’adresse aux étudiants désireux de bachoter des matières obligatoires qu’ils ne rencontreront plus dans la suite de leur cursus. "Nous sommes contents du démarrage, mais nous attendons la prochaine rentrée pour dresser un véritable bilan puisque les livres concernent le nouveau programme", indique Brieuc Bénézet.

Prescriptions des enseignants

"Les prescriptions varient beaucoup d’une fac à l’autre. Le libre accès généralisé aux cours en ligne est aussi un facteur défavorable pour les ventes de livres, puisque les étudiants de première année ont tendance à se fier exclusivement aux cours de leurs enseignants." Manuela Boublil-Friedrich, Elsevier Masson- Photo O. DION

En Première année commune aux études de médecine (Paces), le marché est beaucoup plus calme. Hormis les ouvrages d’anatomie (le "Kamina" chez Maloine, le "Netter" et le "Gray’s" chez Elsevier Masson, les "Atlas de poche" et le "Sobotta" chez Lavoisier…), les ventes dépendent essentiellement des prescriptions locales des enseignants. Lavoisier annonce pour la rentrée la parution d’une version étudiante de son Atlas d’anatomie humaine de Sobotta. De son côté, Elsevier Masson profite de la tenue à Rouen, du 24 au 27 juin, du Congrès international de l’anatomie clinique pour communiquer sur la parution en mai de la première édition française du Grand manuel illustré d’anatomie générale et clinique de Kenneth Moses. "C’est un best-seller aux Etats-Unis, et c’est un petit événement pour nous de publier cet ouvrage", souligne Manuela Boublil-Friedrich. En revanche, l’éditeur ne sait toujours pas comment il va se comporter sur la Paces stricto sensu. "Les prescriptions varient beaucoup d’une fac à l’autre. Le libre accès généralisé aux cours en ligne est aussi un facteur défavorable pour les ventes de livres, puisque les étudiants de première année ont tendance à se fier exclusivement aux cours de leurs enseignants. "

Côté professionnel, Lavoisier poursuit sa politique de développement en lançant deux collections en 2015. La première, "Précis médecine sciences", est déclinée depuis janvier sous forme de semi-poches pour les professionnels suivant une formation continue. La seconde, "Professions santé", s’adresse aux médecins par spécialité. "Nous ne voulions pas lancer une collection par métier, mais plutôt une gamme générique couvrant l’ensemble des professions de santé à travers des problématiques précises", décrypte Fabienne Roulleaux. Egalement lancée en début d’année, "Professions santé" a déjà vu paraître La vitamine D, aussi bien destiné aux médecins qu’aux pharmaciens.

Synergies

Leader sur le marché dentaire, CDP éditions poursuit une politique de production régulière de nouveautés. L’éditeur vient de faire paraître Prévention et gestion du risque contentieux en odontologie dans sa collection haut de gamme "JPIO". "Nous publions en moyenne quatre "JPIO" par an, cette collection dispose d’un fonds très riche qui constitue l’essentiel de ses ventes. Nous ne sommes pas seulement dans une logique de nouveautés", explique Emmanuelle Lionnet, directrice éditoriale et des ventes chez Initiatives Santé, qui possède CDP éditions. La production est plus intensive concernant la collection "Mémento", à la tête de laquelle un nouveau directeur de collection est arrivé au moment de la création d’Initiatives Santé. "Nous publions beaucoup plus et nous n’hésitons pas à nous positionner sur les niches, car la concurrence est plus forte sur ce type de livres", ajoute Emmanuelle Lionnet. Un titre dédié aux soins dentaires en EHPAD est notamment en préparation.

Pour nombre d’acteurs, les synergies entre papier et numérique sont désormais entrées dans les habitudes. Elsevier Masson, par exemple, publie en juin un traité d’arthroscopie enrichi par 270 vidéos accessibles via un site lié. L’ouvrage comprend aussi l’accès à la version ebook et bénéficie d’un prix de lancement de 125 euros (contre 280 euros normalement). L’éditeur va aussi proposer un ouvrage sur la chirurgie du glaucome, couplé à un ebook ePub3 enrichi intégrant des vidéos. "C’est presque un vidéolivre, résume Manuela Boublil-Friedrich. Notre volonté est de généraliser ce type de couplage papier-numérique sans pour autant le systématiser. En chirurgie par exemple, l’intérêt est réel, mais ce n’est pas le cas en psychiatrie. " De la même façon, dans la collection "Books-ebooks", Arnette annonce Chirurgie ambulatoire, qui disposera de compléments en ligne.

Chez Elsevier Masson, Manuela Boublil-Friedrich signale également pour ce mois de juin la parution du manuel de psychiatrie, DSM-5. "C’est une référence internationale. Nous avons publié le DSM-4 il y a plus de dix ans et nous mettons en place une importante opération de communication pour accompagner sa sortie." Trois mois plus tard, l’éditeur complétera le dispositif par la parution de la version poche du titre, intitulée Mini-DSM-5. Sur ce segment de la psychiatrie, Lavoisier n’est pas en reste, puisque l’éditeur a publié en janvier la nouvelle édition de Psychopharmacologie essentielle, et annonce pour la fin de l’année Psychopharmacologie, le guide du prescripteur. "C’est un segment porteur chez nous, précise Fabienne Roulleaux. Nous l’avons déjà observé avec nos titres consacrés aux troubles bipolaires et aux troubles anxieux. " Dans la collection "Traité de neurologie", Doin a également apporté sa contribution à la discipline en publiant en début d’année Démences, qui a reçu un "très bon accueil", assure Valérie Parroco.

La médecine en chiffres

Les livres de révision portent le paramédical

 

Toujours aussi concurrentiel, le marché du paramédical incite les principaux acteurs à refondre leurs collections. Ce sont les ouvrages de révision et d’entraînement qui séduisent le plus.

 

"Le Guide pharmaco est prescrit dans tous les Ifsi, c’est un livre très important pour nous, qui s’est déjà vendu à 150 000 exemplaires depuis sa première édition." Emmanuelle Lionnet, Lamarre- Photo O. DION

Le marché du paramédical (diplôme d’Etat infirmier, aide-soignant auxiliaire de puériculture…) concentre ses efforts en direction des ouvrages d’entraînement et de révision. Les éditeurs qui n’y sont pas encore savent que c’est là que se joue l’essentiel des ventes. "Aujourd’hui nous avons surtout des tout-en-un pour les concours d’entrée, indique Brieuc Bénézet, directeur général d’Ellipses. Mais nous aimerions plus développer dans les prochains mois les ouvrages de préparation aux concours, qui séduisent davantage les étudiants. "

Vernazobres-Grego, lui, franchit le pas et annonce "plusieurs nouvelles collections" pour le secteur infirmier, selon le P-DG Patrick Bellaïche. Mais toujours très secret, l’éditeur n’a pas souhaité en dire davantage avant l’arrivée des livres dans les rayons des librairies. Chez Foucher, Marilyse Vérité, responsable enseignement supérieur et développement numérique, dresse un bilan positif de l’année écoulée, en particulier pour la série Tout le semestre, qui a continué à se déployer. Lancée en 2013 avec des fiches mémo, elle comprend désormais plusieurs gammes d’ouvrages spécifiques, dont des QCM d’évaluation conçus pour faciliter la préparation aux examens. Ces QCM sont accessibles en ePub3. A mi-chemin entre l’ouvrage de référence et celui de révision, Foucher s’appuie également sur la collection "Sup’Foucher infirmier", dans laquelle plusieurs nouvelles éditions sont annoncées, dont Processus tumoraux et Biologie fondamentale. "Ces titres comprennent des concentrés de cours et proposent aussi quelques QCM et Qroc. On est dans une logique d’accompagnement du cours", souligne Marilyse Vérité.

Un gros marché

Chez Vuibert, le marché infirmier est couvert à travers une offre de manuels par unités d’enseignement dans la collection "Référence Ifsi" dont le développement s’achève en 2015 avec trois ouvrages, dont des titres en anglais et en pharmacologie. A la rentrée, l’éditeur lance pour le même public des étudiants en Ifsi (soins infirmiers) des ouvrages d’entraînement par semestre avec trois premiers titres couvrant les premiers semestres des études. Du côté de la préparation aux concours en particulier, l’offre est "énorme", reconnaît une éditrice. Les acteurs doivent donc se démarquer par les contenus, mais aussi sur la forme. Lamarre, qui compte parmi les gros acteurs du marché, a complètement refondu le comité de lecture de la collection "Etudiants Ifsi" et annonce une dizaine de nouveautés et nouvelles éditions pour la rentrée. De la même façon, concernant "Lamarre concours", l’éditeur a eu le souci de rafraîchir ses titres. "Nous passons en deux couleurs pour renforcer l’attractivité de nos ouvrages", explique Emmanuelle Lionnet, directrice éditoriale et des ventes chez Initiatives Santé, qui possède Lamarre.

Face à la concurrence, le leader "très attaqué" Elsevier-Masson, à l’occasion de sa campagne Forum 2015 de début d’année, a ajouté des livrets détachables dans ses ouvrages millésimés. "Cela a concerné quatre titres et permis d’améliorer les ventes, indique Manuela Boublil-Friedrich, directrice du pôle livres-acquisition. Nous avons aussi dynamisé nos collections en changeant les couvertures des ouvrages de révision." Pour la rentrée, l’éditeur consentira également à un effort sur le prix de vente de certains de ses ouvrages.

Mais certains gros ouvrages continuent de mobiliser les éditeurs. Lamarre, par exemple, compte beaucoup sur la 11e édition du Guide pharmaco, prévue pour le mois d’août. "Il est prescrit dans tous les Ifsi, c’est un livre très important pour nous, qui s’est déjà vendu à 150 000 exemplaires depuis sa première édition", souligne Emmanuelle Lionnet. L’éditeur compte également sur le salon infirmier qu’Initiatives Santé organise tous les ans pour dynamiser son résultat. Après une fréquentation en hausse de 10 % lors de l’édition 2014, le salon va voir sa capacité augmentée pour 2015. De son côté, Elsevier Masson annonce une nouvelle édition du Guide pratique de l’infirmière tandis que Foucher dresse un bon bilan des ventes du coffret Tout le DEI, paru l’an dernier, et poursuit son implantation dans le paramédical avec la parution en juin de L’essentiel pour réussir : les processus physiopathologiques, destiné aux infirmiers en formation, et en octobre prochain de Qualité et gestion des risques en milieu hospitalier, cette fois pour les métiers de la santé au sens large.


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