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La physique du numérique

Borne à la librairie Lamartine. - Photo OLIVIER DION

La physique du numérique

Pour faire vivre et promouvoir le numérique au coeur de leurs magasins, des libraires bricolent, tâtonnent et expérimentent, compensant par la créativité leur manque d'outils marketing.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 03.11.2014 à 18h37 ,
Mis à jour le 07.01.2015 à 12h31

Si la promotion, sur le lieu de vente, du livre imprimé relève d'outils bien rodés, pour le numérique, il faut quasiment tout inventer. Pour compliquer l'équation, il faut admettre que l'idée de matérialiser physiquement un support virtuel n'a rien d'évident. Surtout dans une phase où ce nouveau marché n'en est encore qu'à ses balbutiements. Aujourd'hui, "quantifier les ventes du numérique ne vaut pas encore le coup qu'on y consacre du temps", estime même François Milliet, directeur logistique de la librairie Lamartine (Paris, 16e). Alors, le promouvoir...

Pour les libraires qui investissent dans ce segment, la présence du livre numérique en magasin apparaît pourtant capitale. Sans négliger leur site Internet, par lequel passe la majorité de leurs ventes numériques, ils espèrent, par le biais de la matérialisation, ramener l'acte d'achat numérique dans leur magasin pour éviter une évasion de la clientèle. Patron de chez Doucet (Le Mans), Olivier Dumont a en effet eu une amère expérience. Après avoir lancé il y a un an et demi un site pour des conseils de livres en ligne, Libraires à domicile, il a dû le fermer en constatant que, une fois les conseils pris, les clients s'orientaient vers la concurrence pour réaliser leurs achats. «Puisque dématérialiser le conseil conduit les clients chez Amazon, je préfère privilégier la valorisation de mon point de vente. La matérialisation du numérique en fait partie", plaide le libraire. "Rendre physique le numérique doit nous permettre de prendre notre place naturelle sur un marché où nous sommes en concurrence frontale avec des pure players", ajoute Christophe Desbonnet, directeur achats et marketing au Furet du Nord.

Reste à trouver les outils pour mettre en scène le nouveau support et faire vivre une offre virtuelle au coeur de magasins conçus essentiellement autour du papier. Pour le moment, c'est le règne de l'artisanal et de l'expérimentation. «C'est normal, tout commence pour tout le monde, on expérimente et on tâtonne", souligne Aline Pucelle (Delamain, Paris 1er) qui fabrique elle-même ses supports promotionnels. Toutefois, les libraires ne se sentent pas suffisamment aidés par leurs fournisseurs. Les éditeurs, qui préfèrent concentrer leur marketing sur les canaux de distribution en ligne, avaient d'ailleurs été interpellés sur le sujet par Jörg Hagen. Lors de la remise du prix du roman Chapitre, en septembre dernier, le P-DG du réseau Chapitre.com invitait les «partenaires de toujours des libraires, les éditeurs, à faciliter la vente des contenus numériques en magasin en en rematérialisant une partie».

En attendant, chacun bricole dans son coin et adapte son espace pour soit faire naître un rayon numérique, soit l'intégrer à l'offre papier. Premier outil à voir le jour dans les magasins, la borne résiste bien au temps. Développée par Tite-Live et son partenaire e-Pagine, elle est apparue en 2009 chez Doucet, puis au Divan et chez Lamartine, à Paris, avant d'être installée il y a quelques jours à L'Alinéa, à Martigues, et à La Procure prochainement. Outil pédagogique, elle incarne aussi surtout la présence du numérique en magasin. «Au-delà de sa vertu communicante, elle possède également une vertu autonomisant le client, qui peut ainsi reproduire dans l'univers du numérique sa pratique solitaire de consultation et de feuilletage du livre papier", estime Jean-François Szymanski, nouveau gérant de L'Alinéa.

Souvent placée à l'entrée du magasin, lorsqu'elle arrive en boutique, la borne est déplacée au fil du temps et est maintenant relayée par des tablettes. Si celles-ci nécessitent un dispositif de sécurité et électrique poussé, afin d'éviter vols et ruptures d'alimentation, elles ont l'avantage de "se placer au milieu des livres physiques, de s'intégrer à eux harmonieusement et de moins gêner le linéaire », plaide François Milliet. Idéalement, la borne incite le client à l'achat de matériel, afin qu'il puisse lire ses achats numériques. Les liseuses sont donc de plus en plus présentes dans les librairies, leur exposition servant à mettre en scène le numérique. Le dispositif est souvent complété d'affiches, de totems ou de stop-rayons rappelant au client, tout au long de son parcours, l'existence chez le libraire d'une offre numérique.

Autre piste explorée : l'intégration du catalogue numérique au logiciel de gestion de la librairie afin, par exemple, que les libraires puissent proposer systématiquement au client les différents supports ou des offres promotionnelles. "La première des matérialisations est le travail de médiation du libraire", rappelle Caroline Kernen (Dialogues, à Brest). Si, pour le moment, seul Tite-Live offre ce service, avec la possibilité pour le client de payer à la caisse, des pistes de réflexions s'engagent du côté des éditeurs. En décembre, Fleurus déploie ainsi dans quelques librairies tests ses offres groupées en papier et en numérique, déjà présentes sur son site depuis un an. Les libraires pourront facturer directement leurs clients, qui, via un code QR présent sur leur ticket de caisse ou un lien envoyé à leur adresse mail, pourront ensuite télécharger leur achat. «C'est le début d'une solution pour inscrire le numérique chez les libraires, assure Anne Delilliac, chargée du pôle numérique chez Fleurus. J'espère que d'autres acteurs s'en empareront pour créer une généralisation bénéfique à toute la chaîne."

Principaux porteurs de la matérialisation du numérique, les libraires n'ont en effet que très peu de moyens à lui consacrer, d'autant que la rentabilité du marché frôle le zéro. «Or, plus on y mettra de moyens, plus on développera ce chiffre, analyse Christophe Desbonnet. Mutualiser les coûts permettrait donc à chacun d'en sortir gagnant."

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