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Le sentimental à la mode épicée

Le sentimental à la mode épicée

Alors qu’on pensait le public français libertin et rétif à l’érotisme anglo-saxon, la vague « hot and spicy » portée par Fifty shades, très codifiée, fait - notamment - le bonheur des libraires.

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Par Claude Combet
Créé le 17.10.2013 à 19h18 ,
Mis à jour le 24.10.2013 à 16h32

Photo OLIVIER DION

Après les polars historico-ésotériques de Dan Brown, la saga vampiresque Twilight, le raz-de-marée érotique a bien eu lieu. La publication de Fifty shades d’E. L. James entraîne toute une vague de titres « hot » qui se vendent particulièrement bien en librairie. Après les 3,2 millions d’exemplaires vendus en 2012 de la trilogie Fifty shades, il s’en est encore écoulé 1,2 million d’exemplaires depuis janvier 2013 (voir notre tableau page suivante). Parallèlement, Sylvia Day et son Crossfire a explosé cet été (280 000 ventes pour les trois tomes), et poursuit sa carrière au rythme d’un titre par mois, tandis que Marabout fait un tabac avec les séries de Sara Fawkes (Tout ce qu’il voudra) et de Lauren Jameson (Prête à succomber) dans la collection « Red velvet » (295 000 ventes pour 13 titres), de courts textes à 3,99 euros.

 

« Spicy », la rentrée. Du coup, la traditionnelle rentrée littéraire se double d’une rentrée particulièrement «spicy». Après Beautiful stranger de Christina Lauren (la suite de Beautiful bastard) chez Hugo Roman, Juliette Society, premier roman de Sasha Grey, une ex-actrice de porno de 25 ans (Le Livre de poche), et Les doigts de pied en bouquet de violettes : dictionnaire coquin de l’amour et du sexe de Sylvie Brunet (L’Opportun), on attend la réédition le 8 novembre au Diable vauvert de 9 semaines ½ d’Elizabeth McNeill, paru sous pseudonyme en 1979 et adapté au cinéma avec Kim Basinger, ainsi que la suite des séries et compilations parues chez Marabout. De son côté, Michel Lafon, qui a réédité la trilogie érotique d’Anne Rice (70 000 ventes), clôt le 24 octobre le diptyque de Sylvain Reynard Le divin enfer de Gabriel avec L’extase, et le 7 novembre la trilogie de Julie Kenner avec Aime-moi (les deux premiers totalisent 100 000 ventes).


 

« Les tabous sont tombés ». La vague perdurera en 2014. Avec, dès janvier chez JC Lattès, le premier volume de La trilogie des sens signée par l’Italienne Irene Cao (les volumes 2 et 3 sont prévus pour mars et juin) ; chez Sonatine, Prédatrice d’Alissa Nutting, l’histoire d’une enseignante de Tampa qui séduit un de ses élèves de 14 ans ; et aux Presses de la Cité, le second volume de SECRET. Michel Lafon publiera également en janvier le premier volet d’un diptyque intitulé La nuit leur appartient (le second en avril) et un nouveau roman de Sylvia Day. J’ai lu, qui s’appuie sur la suite de Crossfire, annonce dès janvier le très attendu Beautiful disaster de Jenny McGuire et six nouveaux auteurs en 2014, dont Jennifer Armentrout (février). Hugues de Saint Vincent déclinera encore Beautiful bastard (trois nouvelles et un roman) et ajoutera trois nouvelles séries dans les rayons… « Les tabous sont tombés », lisait-on récemment dans Le Parisien qui constatait la recrudescence de titres « hot » dans cette rentrée.

Pour Anna Pavlowitch, directrice de J’ai lu, « ce n’est pas la dimension érotique - très aseptisée - qui fait le succès mondial de ces livres, mais la “romance”. Les codes littéraires revisent tout simplement ceux du conte de fées, à ceci près que les auteurs nous conduisent jusque dans le lit du prince charmant et de la bergère, un prince charmant qui est devenu P-DG, et une bergère petite employée ». « Je ne publie pas des livres érotiques, je vends des histoires d’amour », confirme Hugues de Saint Vincent, P-DG d’Hugo & Cie, qui établit un clair distinguo entre Beautiful bastard et les titres édités par les éditions Blanche au sein du groupe. « Nous les mettons dans le même rayon que les comédies romantiques », renchérit Stanislas Rigot, de la librairie Lamartine.

Il s’agit avant tout d’une fiction américaine, à l’érotisme relativement soft, très éloigné des grands classiques tels que L’amant de Lady Chatterley, Histoire d’O (réédité en 2012 par Fayard) et des livres de Georges Bataille, voire des récits sadomasochistes de La Musardine. Ils sont le plus souvent nés sur le Net comme Fifty shades, ou issus des fan-fictions, et leur succès a été repéré par des éditeurs traditionnels qui leur ont donné une nouvelle carrière en format papier. Les codes du porno chic, véhiculés par les grandes marques du luxe, sont adoptés par les couvertures : fond sombre avec un objet - une cravate pour E. L. James, une fleur pour les Lauren Jameson - tout en suggestion… Mais la tendance, créée par Fifty shades, est aussi à la déclinaison d’un titre avec une variante à chaque volume : Cinquante nuances plus claires, Cinquante nuances plus sombres ; Dévoile-moi, Regarde-moi, Enlace-moi (Sylvia Day) ; Dans tes yeux, Sur tes lèvres, Tout entière (Irene Cao) ; Possède-moi, Délivre-moi, Aime-moi (Julie Kenner)…

 

Porno très soft. D’après les listes de meilleures ventes, ce porno très soft, mais à tendance SM, touche un public beaucoup plus large que celui que désigne l’expression « mom porn » (porno pour maman). Il concerne autant les adolescentes auxquelles il sert d’initiation, les « new adults » (18-25 ans, nouvelle niche des éditeurs anglo-saxons), que les « lectrices décomplexées, égocentriques, pratiques, qui consomment et ne se cachent pas pour l’acheter », souligne Elisabeth Darets. Pour la directrice de Marabout, ces dernières « les lisent au second degré et savent pertinemment que la domination reste de l’ordre du fantasme ». « Il s’est passé quelque chose. Alors qu’on nous reprochait de vendre certains livres grand public, nos clients ont trouvé naturel de nous acheter Fifty shades et nous avons très bien vendu Beautiful bastard. Les clientes ont changé et ces titres ont réussi à dédramatiser l’objet », constate Stanislas Rigot.

S’ils ne sont plus vendus sous le manteau, les textes érotiques figurent parmi les meilleures ventes en numérique, permettant un achat plus discret : ils atteignent facilement les 10 000 ou 20 000 ventes, soit «près de 10 % au lieu des 3 % du marché», signale Anna Pavlowitch. « C’est avant tout un effet de mode et cet engouement ne se reporte pas sur l’érotisme classique », nuance cependant Béatrice Leroux, responsable de la littérature à la librairie Gibert Jeune. Pourtant, la maison d’édition La Musardine enregistre selon sa directrice éditoriale, Anne Hautecoeur, une hausse de 40 % de son chiffre d’affaires. « Tout n’est pas imputable à Fifty shades, précise-t-elle, mais la littérature érotique est entrée dans toutes les librairies (y compris celles qui n’en avaient pas), a bénéficié de promotions et d’articles dans la presse… »« Nous vendons davantage de titres de Blanche en poche, et surtout à l’international », constate aussi Hugues de Saint Vincent. Même les détenus de Guantanamo ont réclamé Fifty shades

 

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