Nouveaux métiers, nouveaux regards

La médiathèque Aragon à Choisy-le-Roi. - Photo Olivier Dion

Nouveaux métiers, nouveaux regards

Jusqu’alors confiées le plus souvent à des bibliothécaires, les nouvelles fonctions qui fleurissent dans les bibliothèques conduisent désormais au recrutement de professionnels d’autres secteurs qui renouvellent le regard porté sur la lecture publique.

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Par Véronique Heurtematte
avec Créé le 13.06.2014 à 02h34 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Médiateur numérique, webmestre, responsable de l’action culturelle ou de la formation, curateur de données, ludothécaire : depuis plusieurs années, des intitulés de poste jusque-là inédits ont fleuri en bibliothèque. Si ces nouvelles fonctions sont souvent prises en charge par des bibliothécaires qui se forment en conséquence, elles donnent de plus en plus souvent lieu au recrutement de professionnels venus d’horizons parfois bien éloignés de celui des bibliothèques. Une ouverture que la plupart des bibliothécaires s’accordent à considérer comme constructive, voire indispensable pour mener à bien des missions de plus en plus diversifiées. "A partir de quand est-on considéré comme un professionnel des bibliothèques ? S’il faut avoir reçu une formation initiale, alors ni moi ni personne dans mon équipe ne faisons partie de cette catégorie", affirme, avec un brin de provocation, Caroline Makosza, directrice de la ludo-médiathèque de Fosses dans le Val-d’Oise. Elle-même animatrice de formation, elle a découvert le monde des bibliothèques par hasard en travaillant à la médiathèque d’Orléans. "J’avais une image un peu poussiéreuse de ce milieu. Or, j’ai découvert des gens passionnants", reconnaît la jeune directrice. Parmi les six collaborateurs qu’elle a recrutés à Fosses, aucun n’est bibliothécaire de formation : son adjoint a fait l’école hôtelière, d’autres ont une licence de cinéma ou bien viennent du monde du théâtre. "Avoir un DUT métiers du livre montre qu’on a fait un véritable choix pour ce secteur, estime Caroline Makosza. Sinon, je ne vois pas de différence fondamentale avec quelqu’un venu d’un autre horizon. Ce qui est important pour moi quand je recrute, c’est l’ouverture d’esprit, le sens du service public, l’imagination et l’envie d’expérimenter. Cela ne s’apprend pas dans une formation." La formation post-recrutement aux fonctions bibliothéconomiques est cependant indispensable. "Cela rassure les agents sur leurs capacités à assurer les tâches quotidiennes", confirme Caroline Makosza. C’est pour avoir un langage commun avec ses collègues bibliothécaires que Laurent Clavère, ludothécaire à la médiathèque municipale Gao-Xingjian à Saint-Herblain, près de Nantes, a suivi la formation d’auxiliaire de bibliothèque de l’Association des bibliothécaires de France. Une nécessité qui lui était apparue dès son entretien d’embauche : répondant à une question sur sa politique de désherbage, il avait assuré au directeur de l’époque qu’il prenait bien soin d’enlever tous les brins d’herbe quand il organisait une animation en plein air ! "Ma mission est d’associer le livre et le jeu. Les tâches sont comparables, mais nous, ludothécaires, parlons d’achats au lieu d’acquisitions et de fiches de jeu au lieu de notices, note Laurent Clavère. En revanche, la lecture est une pratique individuelle alors que le jeu c’est une pratique collective. Nous avons une tolérance supérieure au bruit, cela nous arrive de jouer à cache-cache parmi les rayonnages." De sa pratique du milieu associatif des ludothèques, avant qu’elles intègrent le réseau de lecture publique en 2010, il a gardé une approche un peu différente de celle de ses collègues bibliothécaires : "Je suis peut-être plus réactif, moins habitué à l’inertie administrative, avance Laurent Clavère. Dans le monde associatif, on fonctionne avec une certaine spontanéité, on est habitué à répondre rapidement aux demandes de notre public. Entre ludothécaires et bibliothécaires de l’équipe, les échanges et influences sont réciproques, c’est très enrichissant."

La créativité, c’est ce que revendique de son côté Gildas Carrillo, directeur de la médiathèque Phileas-Fogg à Saint-Aubin-du-Pavail, près de Rennes, aux casquettes multiples : graphiste, animateur multimédia, formé à la communication, très investi pendant plusieurs années dans un collectif d’artistes qui organisait à Rennes des événements où se croisaient différentes pratiques artistiques : "Je suis un créatif, les idées me viennent facilement. Je vois rapidement comment faire le lien entre différentes activités. L’aide de collègues bibliothécaires des villes voisines a été précieuse lors de mon arrivée dans ce secteur dont je ne maîtrisais pas les techniques, mais je dois admettre que maintenant je mets de côté les tâches chronophages, telles que l’indexation Rameau ou l’enrichissement des notices, pas indispensables dans un tout petit établissement comme le mien. Je pense que la dimension créative va prendre une place plus importante dans les bibliothèques, tout comme la dimension humaine."

Pour Raphaële Gilbert, directrice des médiathèques municipales de Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne, il n’y a pas réellement de nouveaux métiers mais de nouvelles compétences à trouver en interne en formant les bibliothécaires ou en s’entourant de nouveaux profils. "On a tendance à penser les compétences comme un savoir-faire dans un domaine précis. Or, le plus important, ce sont les méthodes de travail, être capable de travailler en mode projet, de monter des actions", affirme cette jeune directrice qui a mené un important travail sur l’organigramme, élaboré de manière transversale par fonctions, notamment "publics éloignés, absents, hors les murs", ou encore "animation de communautés" dans le département des services numériques. Des fonctions que Grégory Teissier, chargé de projet en développement de la lecture publique dans les médiathèques municipales de Creil, lui-même scénariste de bandes dessinées, voit se développer de manière significative dans les bibliothèques. "Les bibliothèques sont de plus en plus perçues comme des structures culturelles au sens large qui offrent une bonne attractivité pour des professionnels ayant envie de faire carrière dans l’animation culturelle", estime-t-il. Et si la plus belle preuve de la mutation des bibliothèques, après avoir élargi leurs publics et renouvelé en profondeur leur offre, était à lire dans leur capacité à attirer de nouveaux professionnels ?

13.06 2014

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