Pères, faits divers... et fins du monde

Pères, faits divers... et fins du monde

La variété des sujets des romans témoigne de la vitalité de l'imaginaire des écrivains. Mais quelques thèmes s'imposent, en écho aux bouleversements du monde. Et bien souvent, dans des vies singulières, apparaît le fil de la grande histoire.

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Par Catherine Andreucci
avec Créé le 27.10.2015 à 18h09

Encore des histoires de famille ? Oui, car c'est un inépuisable sujet de roman. Mais cette année, plus que la mère, c'est le père qui constitue la figure centrale de plusieurs fictions et de récits autobiographiques. Dans La confusion des peines (Stock), Laurence Tardieu aborde enfin le sujet qui la taraude depuis de longues années, rompant le silence familial : la condamnation pour corruption de son père - cadre à la Générale des eaux - qu'elle adulait et la mort de sa mère dans la foulée. Pour répondre à la demande de son père, qui considère que sa vie est un roman, Ali Magoudi écrit la vie d'Abdelkader Magoudi, Un sujet français (Albin Michel), mêlant son existence singulière à l'histoire de l'Algérie de la première moitié du XXe siècle. Père et fils, Thierry et Charles Consigny dialoguent après la descente aux enfers du jeune homme de 20 ans, admis aux urgences à la suite d'une overdose (Le soleil, l'herbe, et une vie à gagner, Lattès). C'est un autre tête-à-tête, fictif cette fois, entre un père et son fils que décrit Brigitte Giraud dans Pas d'inquiétude (Stock) : un homme passe de longs moments auprès de son fils malade, un temps offert par ses collègues qui lui ont fait don de leurs jours de RTT. Laurent Seksik raconte l'histoire d'un garçon qui recherche l'affection d'un père brisé par la guerre, dans les années 1960 en Arizona (La légende des fils, Flammarion). L'histoire d'amour entre Vincent et Anna, imaginée par Stéphane Guibourgé, ne peut avancer que lorsque Vincent tente de retrouver Le nom de son père (Stock) et part sur les traces de cet ouvrier marocain exilé en France. A la mort de son père adoptif, l'héroïne de Rouge argile, de Virginie Ollagnier (Liana Levi), retourne au Maroc pour régler la succession et se replonge dans une très déroutante histoire familiale. C'est aussi la mort de son père dans un accident de voiture, après celle de sa mère et de son frère dans les mêmes circonstances, qui a mis Jean-Philippe Blondel sur la route lorsqu'il avait 22 ans, itinéraire qu'il raconte dans Et rester vivant (Buchet-Chastel). Pierre Vavasseur écrit comment, alors qu'il était enfant, sa mère l'a chargé de dire à son père qu'elle le quittait (Deux enfants, Moteur). Quant à Amélie Nothomb, son nouveau livre s'intitule Tuer le père (Albin Michel).

RUBRIQUE FAITS DIVERS

Parce qu'ils révèlent les bouleversements de la société, les faits divers inspirent toujours les romanciers. Morgan Sportès a reconstitué minutieusement l'enlèvement, la séquestration, la torture et l'assassinat d'Ilan Halimi, en 2006, par une bande de banlieue dont il décrit le parcours. Il présente son roman Tout, tout de suite (Fayard) comme "une autopsie : celle de nos sociétés saisies par la barbarie". En écho à cette terrible affaire, Gilles Martin-Chauffier décrit un drôle de Paris en temps de paix (Grasset), enquête d'un commissaire dans le 18e arrondissement où se heurtent communautarisme et modèle républicain. Vanessa Schneider, elle, s'inspire d'un fait divers survenu en 2008 à Gloucester aux Etats-Unis : 17 jeunes filles d'un lycée tombent enceintes en même temps. Dans Le pacte des vierges (Stock), elle imagine le témoignage que 4 d'entre elles acceptent de livrer à une journaliste. Se soumettant à l'antiphrase de la collection de Grasset "Ceci n'est pas un fait divers", Simon Liberati part de l'accident de voiture qui a causé la mort de Jayne Mansfield le 29 juin 1967 pour ausculter la vie de la star hollywoodienne. Le 24 mars 1999, l'incendie du tunnel du Mont-Blanc fit 39 victimes. Parmi elles, la mère et le père de Fabio Viscogliosi. Dans Mont Blanc (Stock), il reconstitue les circonstances de la mort de ses parents, le deuil, sa soudaine condition d'orphelin. C'est aussi cet incendie qui a inspiré à Eric Sommier son premier roman, Dix (Gallimard), dans lequel il imagine quelle a été la vie de Pierlucio Tinazzi, motard chargé de la sécurité du tunnel, qui avait réussi à sauver 10 personnes avant de périr.

APOCALYPSE NOW

La fin des temps est pour 2012, nous disent les Mayas. En attendant de voir si cette prédiction se réalise, la littérature se fait l'écho des catastrophes de ces dernières années. D'origine nucléaire, l'apocalypse a eu lieu dans Futur fleuve d'Emmanuel Rabu (Léo Scheer), où les humains se démènent pour survivre dans un monde dévasté et menaçant. Avant de disparaître, l'humanité est frappée par une épidémie qui transforme les gens en êtres bestiaux et extrêmement violents. Les personnages de Xabi Molia traversent la lutte entre survivants et infectés, les restrictions, les soupçons... (Seuil). La fin prévisible des réserves de pétrole a inspiré à Dalibor Frioux son premier roman, Brut (Seuil). Anticipant la pénurie, il dépeint la Norvège en paradis artificiel qui se détraque sous l'effet des richesses procurées par l'or noir. Le héros de Skoda d'Olivier Sillig (Buchet-Chastel), seul survivant d'un raid aérien, découvre au milieu des décombres un bébé survivant et se met en route avec lui. La fin du monde, les habitants de La Faute-sur-Mer ont bien cru la vivre lors de la tempête destructrice de février 2010. Yves Viollier raconte la tragédie de 4 familles dans La mer était si calme (Robert Laffont).

L'USINE DU MONDE

Délocalisations, chômage, management à la dure... font les grands titres de l'actualité. Les romanciers s'emparent des violents dérèglements provoqués par le règne de la finance et par la mondialisation. Très documenté, Eric Reinhardt a construit Le système Victoria (Stock) autour de deux mondes qui s'opposent : celui de Victoria, la DRH ultralibérale dont le boulot est de licencier sans états d'âme, et celui de David, maître d'oeuvre aux valeurs humanistes et sociales. Philippe Pollet-Villard imagine un entrepreneur fortuné qui, arrivé à l'âge de la retraite, part en Inde sur les traces de sa jeunesse et se retrouve face à son passé professionnel lorsqu'il y découvre les industries délocalisées d'Europe (Mondial Nomade, Flammarion). Presque comme dans le monde réel, La loi du plus fort règne dans le nouveau roman de Frédéric Chouraki (Denoël), comédie caustique où l'on trouve un patron tyrannique et néolibéral, des abus de pouvoir, les désillusions d'un cadre supérieur qui veut tout plaquer, des harcèlements... Bienvenue dans la vraie vie ! pourrait s'entendre dire le héros de Bernard Foglino (Buchet-Chastel), un trader qui vit en apnée dans la salle des marchés et imagine une société de recyclage de déchets au potentiel financier alléchant.

L'OMBRE DE LA COLONISATION

Ressurgie depuis quelques années avec des livres marquants sur les blessures enfouies de la guerre d'Algérie, la colonisation est prise à bras-le-corps par de jeunes romanciers, au premier rang desquels Mathieu Belezi, déjà remarqué pour C'était notre terre (Albin Michel, 2008). Avec Les vieux fous (Flammarion), il se met cette fois dans la peau d'un colon à la fin de la guerre d'Algérie et retrace toute l'histoire de la colonisation pour mieux la dénoncer. Confiné au Cameroun d'aujourd'hui, le héros des Mamiwatas de Marc Trillard (Actes Sud) vit, lui, le pourrissement des siècles de présence française en Afrique à travers l'Alliance française du Cameroun, qu'il dirige. L'art français de la guerre, premier roman d'Alexis Jenni (Gallimard), nous replonge notamment dans les guerres de décolonisation, en Indochine et en Algérie. Et si Michel Schneider raconte avant tout l'histoire de sa relation avec son frère dans Comme une ombre (Grasset), les souffrances issues de la guerre d'Algérie, dont Bernard est revenu fracassé, sont bien présentes dans son récit de la déchéance d'un homme qui finit par se suicider.

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