Avant-critique Roman

Adélaïde Bon, "Puisque l'eau monte" (Le Soir Venu)

Adelaide Bon - Photo © Murdo MacLeod

Adélaïde Bon, "Puisque l'eau monte" (Le Soir Venu)

Rentré littéraire

Dans son premier roman, Adélaïde Bon décrit le parcours d'émancipation d'une jeune femme engloutie sous des couches de dénis.

Parution 22 août

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Par Marie Fouquet
Créé le 24.06.2025 à 14h00

Corps et désaccords. Dans ce premier roman poétique et politique, une jeune femme, Sibylle, raconte son avortement, les violences qu'elle vit dans son couple et les mystères qui règnent autour des femmes de sa famille. En renouant avec son passé, elle parvient peu à peu à rompre avec les violences de son présent. Dès l'incipit, la narration adopte un rythme rapide et confus : il décrit l'avortement secret de la narratrice et « l'amas sombre et gélatineux » qu'elle repousse dans un coin de sa douche avant de le récupérer dans un petit sachet qu'elle cache dans le congélateur du frigo. Adélaïde Bon, autrice de La petite fille sur la banquise (Grasset, 2018), récit sur le viol dont elle avait été victime enfant, traduit sans fard la douleur, le dégoût, l'étrangeté et cette sensation que « tout en [Sybille] a été arraché, [que] rien de vivant ne subsiste », jusqu'à la dissociation. « Sibylle, ça va ? » Quand Maxime, son compagnon, remarque son air pâle, elle prétexte une fatigue passagère et il n'insiste pas. Le reste de la journée s'enchaîne comme prévu, jusqu'au dîner avec Garance, Simon et leur bébé Liseth, Sybille s'efforçant de dissimuler son mal-être.« Jeune fille, je m'entraînais déjà à marcher comme une dame », se souvient-elle. À sa meilleure amie Nour, qui vient de lui annoncer sa grossesse, elle n'arrive pas non plus à se confier. Cet avortement est intimement lié à un événement lui aussi passé sous silence quelques semaines auparavant. Après la soirée de mariage de Nour d'où ils sont rentrés un peu ivres, Maxime a eu envie de Sibylle et n'a pas tenu compte du refus de la jeune femme, fatiguée. Le matin au réveil, avant de l'entraîner vers la plage, il lui chantonne à l'oreille : « Tu sei per me / La più bella del mondo. »

Lorsque Maxime apprend d'un médecin indiscret que Sybille a été enceinte et a avorté, sa surprise est vive - « Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Non, mais il hallucine, là. [Elle a] fait ça ? Vraiment ? Sans rien dire ? C'était quand ? Pourquoi n'avoir rien dit ? » - puis explicitement violente : « Comment [a-t-elle] pu faire ça dans son dos ? », « Il était de qui, le gosse ? », « Au fond il le savait, il l'avait toujours su, [elle n'était] rien qu'une petite pute. »

Adélaïde Bon parvient à aborder avec justesse des sujets sensibles comme celui du consentement et du viol dans les relations de couple, exposant l'incompréhension et l'absence totale de remise en question de Maxime qui ne font que renforcer le silence et l'effacement de Sybille. Certaines attitudes et certaines scènes pourraient presque prêter à sourire si elles ne représentaient des violences banalisées et devenues tristement ordinaires. Comme cette phrase que Maxime adresse à Sybille à la fin d'une dispute où il monopolise la parole : « Tu devrais aller voir quelqu'un pour parler de tout ça. » L'autrice met en scène cette intrigue dans un territoire empreint de poésie et de légendes folkloriques. Le retour de la narratrice dans son Marais poitevin natal et ses recherches autour des femmes de sa famille et de sa propre naissance lui seront salutaires. « L'air est suspendu, pas un souffle de vent, pas une ride sur l'onde. Dans l'aube rose pâle, le ciel est le reflet du sol, ou bien le sol est le reflet du ciel. Je suis invitée à leur noce. »

Adélaïde Bon
Puisque l'eau monte
Le soir venu
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 16,95 € ; 192 p.
ISBN: 9782940797127

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