Avant-critique Roman graphique

Adèle Albrespy, Jean Aubertin, "Motorossa" (Dargaud)

Adèle Albrespy, Jean Aubertin, "Motorossa" (Dargaud)

Et si l'émancipation passait par une course de bolides ? Un joli conte postadolescent par deux auteurs, Adèle Albrespy et Jean Aubertin, qui démarrent en trombe dans la BD.

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Par Benjamin Roure
Créé le 19.06.2023 à 14h00 ,
Mis à jour le 19.06.2023 à 19h04

La fille à la moto. La vie semble douce à Carbonia, en Sardaigne. Sauf quand on est une jeune femme en perte de repères et que l'azur du ciel ne suffit pas à chasser le spleen. Franca a perdu sa mère et rêve d'études d'archéologie à Rome. Sur son île, elle tourne en rond, tandis que les jeunes gens de son âge ne pensent qu'à une chose : la grande course de moto de l'année. Elle se laisse alors embarquer par un copain, qui file le long des falaises à toute vitesse. Et c'est la révélation. « Pour la première fois depuis deux ans, au milieu du tonnerre de bruit et de vent, face la Méditerranée immense du mois d'août, j'avais cessé de penser à mon chagrin. Et j'étais décidée à solder l'héritage de ma mère pour m'acheter une moto. »

Prenez place à l'arrière, mettez votre casque, accrochez-vous bien, c'est à une touchante et vrombissante histoire de deuil et d'émancipation que nous invite la scénariste Adèle Albrespy, à l'écriture très cinématographique. Et pour cause, elle a étudié le cinéma et réalisé des courts-métrages. Mais que l'on se rassure, Motorossa reste bien une BD et non un film dessiné. D'une part, parce que l'autrice possède un vrai sens de la séquence et des dialogues, et qu'elle campe idéalement son héroïne. De naïve et têtue, au point d'acheter la bécane la plus chère, la plus voyante, une trop rouge et rapide Ducati, et de récolter le moqueur surnom qui donne son titre à l'album, Franca va s'affirmer et affiner ses choix et ses rêves. À rebrousse-poil des machos, des frileux, des parvenus, de ceux qui restent coincés dans leurs certitudes. D'autre part, parce que l'illustrateur Jean Aubertin, dont c'est aussi la première bande dessinée, sillonne les pages comme un bolide mais sans jamais perdre sa sensibilité. Délaissant ses habituelles aquarelles, il s'appuie sur une ligne claire très fine, à la tentation minimaliste, à la manière de Charlotte Pollet voire de Delphine Panique par moments. Et il pose des aplats de couleurs franches, avec peu de textures, qui évoquent, sur ses paysages, les papiers découpés. Ce choix graphique percutant offre une grande lisibilité et une belle luminosité à ce récit d'apprentissage aux allures de conte de fées moderne et motorisé. On n'aurait pas parié que la beauté émerge dans le sillage d'une grosse cylindrée : on avait tort.

Adèle Albrespy, Jean Aubertin

Dargaud
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782205206395

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