Avant-critique Correspondance

Alain Mabanckou, "Lettres à un jeune romancier sénégalais" (Le Robert)

Alain Mabanckou - Photo OLIVIER DION

Alain Mabanckou, "Lettres à un jeune romancier sénégalais" (Le Robert)

Sous la forme plaisante de lettres à un jeune écrivain en devenir, Alain Mabanckou raconte son parcours, sa pratique, ses goûts d'écrivain.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 07.09.2023 à 09h00

Le Mabanckou sans peine. Malgré la relative modestie de son volume et sa forme aimable − des lettres censées être adressées en réponse aux questions que se pose sur son devenir d'écrivain Alioune, un jeune Sénégalais de 18 ans (authentique ou fictif, peu importe pour le propos) −, Lettres à un jeune romancier sénégalais occupe une place particulière, centrale presque, dans l'œuvre d'Alain Mabanckou.

D'abord parce que, comme la plupart des écrivains qui adorent ça, il y retrace son parcours, depuis Au jour le jour, sa première plaquette de poèmes, publiée en France à compte d'auteur en 1993 et jamais reniée (pas plus que ses recueils « aidés » à L'Harmattan), jusqu'à aujourd'hui, alors qu'il est devenu écrivain à succès depuis Verre cassé (Seuil, 2005), son livre le plus emblématique, celui qui lui « colle » le plus à la peau dans l'esprit de la critique et du public, ne lui en déplaise. Lui préférerait presque Bleu-Blanc-Rouge, son premier roman, paru chez Présence Africaine en 1998. Sinon, bien sûr, tout le monde connaît Mémoires de porc-épic (Seuil), qui lui valut le prix Renaudot en 2006.

Tout cela, si un griot le lui avait prédit alors, aurait totalement estomaqué l'adolescent longiligne et rêveur de Pointe-Noire (en République du Congo, ex-Congo-Brazzaville), en photo dans ce livre, page 17. Mais il a appris le français, la langue du colonisateur, qu'il a su faire sienne, et il est venu ici pour suivre des études, tenter sa chance, même s'il vit maintenant plutôt aux États-Unis, professeur de littérature française à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA).

Et même s'il a désormais l'âge d'être un sage à l'africaine, et en dépit de son allure d'éternel sapeur (la SAPE, Société des Ambianceurs et Personnes Élégantes, si importante pour la jeunesse sur les deux rives du fleuve Congo), Alain Mabanckou, né en 1966, n'est pas un donneur de leçons, ni même de conseils. À part, peut-être, à la façon de Gide : « Il faut suivre sa pente à condition que ce soit en montant. » Il raconte en revanche volontiers et avec humour ses souvenirs de gosse (ah, Le nouveau Bescherelle et ses 12 000 verbes qu'il voulait tous apprendre par cœur), ses premières lectures, éclectiques (de Blanche-Neige à San-Antonio), qui ont enflammé son imagination et fait naître son goût pour la fiction et les conteurs d'histoires. De là à passer lui-même de l'autre côté de l'écritoire, cela demeure un miracle, un mystère, comme pour chacun.

Au passage, il salue son maître Sony Labou Tansi, qui lui avait prêté le manuscrit de La vie et demie (paru au Seuil en 1979), afin que l'apprenti puisse se rendre compte, concrètement, de ce qu'est le travail de l'écrivain sur son propre texte. Il raconte aussi, anecdote peu connue, qu'il a été le traducteur d'un seul livre, Beasts of No Nation, d'Uzodinma Iweala, un Américano-Nigérian d'origine yoruba, qui écrivait un « anglais pourri ». La tâche fut exaltante, mais de là à récidiver...

Enfin, dans la dernière partie de ce petit vade-mecum, Alain Mabanckou recense quelques-uns de ses mots fétiches, dont « s'enjailler », faire la fête. C'est un peu ce qu'il propose ici, par papier interposé, à ses lecteurs fidèles.

Alain Mabanckou
Lettres à un jeune romancier sénégalais
Le Robert
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 15.4 € ; 176 p.
ISBN: 9782321017950

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