Avant-critique Essai

Andrea Wulf, "Les rebelles magnifiques. Les premiers romantiques et l'invention du Moi" (Noir sur Blanc)

Andrea Wulf - Photo © Antonina Gern

Andrea Wulf, "Les rebelles magnifiques. Les premiers romantiques et l'invention du Moi" (Noir sur Blanc)

Un captivant récit d'Andrea Wulf sur ces intellectuels allemands qui, à Iéna à la fin du XVIIIe siècle, ont inventé une autre façon de penser.

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Par Laurent Lemire
Créé le 15.04.2024 à 09h00 ,
Mis à jour le 15.04.2024 à 22h40

Le cercle des romantiques. Novalis, Schlegel, Fichte, Schelling, Humboldt, Schiller et, comme parrain, un peu à l'écart, Goethe. Tous ces poètes, philosophes, écrivains nourris à la Révolution française se sont retrouvés autour d'un même rêve de liberté à Iéna, petite bourgade du duché de Saxe-Weimar sur les rives de la Saale devenue carrefour de la pensée occidentale dans un XVIIIe siècle finissant. « Ce qui les intéressait, ce n'était pas la vérité absolue, mais le processus de l'entendement. Ils démantelèrent les frontières entre les disciplines, transcendant les divisions entre art et science, et contestèrent l'establishment. » Des ouvrages ont été consacrés à chacun d'entre eux. Mais Andrea Wulf a choisi de raconter leur histoire collective, aux prises avec les soubresauts de l'époque.

Et comme toujours dans ces histoires d'hommes, il faut chercher la femme. Elle s'appelait Caroline Böhmer, elle eut trois maris dont Schelling, des idées nouvelles et fit de son salon une scène lumineuse pour en discuter. Ces « rebelles magnifiques » qui ont constitué le Cercle d'Iéna se sentaient invincibles. « Ma volonté seule flottera digne et calme sur les ruines du monde » lançait crânement Fichte droit dans ses bottes de cavalier devant ses étudiants exaltés. Exaltation, c'est bien le mot qui réunit cette petite troupe turbulente qui envoie Kant à la retraite. La valeur suprême, c'est la liberté ! De croire, de penser, d'aimer. Au risque de devenir insupportable. Au centre de ce « splendide cercle », Caroline voit la petite académie romantique se disloquer au gré des disputes, des départs, des divorces. Fichte et Schelling se brouillent et se mettent à se dévorer « comme des rats affamés ». Mais il n'y a pas que la discorde qui gagne du terrain. Napoléon et sa Grande Armée aussi. Hegel, voûté, chauve et bien plus tempéré que ses amis, arrive à Iéna quand la fièvre a disparu dans le groupe, tout comme la guerre avec la France. En 1806, il achève sa Phénoménologie de l'esprit commencé cinq ans auparavant. La victoire de Napoléon signe pour lui la « fin de l'Histoire ». C'est en tout cas celle de ce Cercle des romantiques absolus. Mais pas de leur influence sur notre manière de voir.

Née en Inde, Andrea Wulf a grandi en Allemagne et s'est installée en Angleterre où elle a écrit plusieurs livres à succès dont un consacré à Humboldt (L'invention de la nature, Noir sur Blanc, 2017). Elle retrouve ce sens du récit enlevé avec ces Rebelles magnifiques, sans renoncer à une solide documentation. « Ce groupe d'écrivains, de poètes et de penseurs changea la façon dont nous concevons le monde en plaçant le Moi au centre de tout. Ce faisant, ils libérèrent les esprits du corset des doctrines, des règles et des injonctions. » Ils nous ont légué un magnifique héritage : le libre arbitre. Le fait d'agir et de penser par soi-même qui ne se confond pas avec l'égoïsme ou l'individualisme. C'est ce que nous rappelle cette captivante aventure de géniaux trublions à l'origine du mouvement romantique allemand.

Andrea Wulf
Les rebelles magnifiques. Les premiers romantiques et l'invention du Moi
Noir sur blanc
Tirage: 2 600 ex.
Prix: 26,50 € ; 576 p.
ISBN: 9782889830060

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