Avant-critique Roman

Arnaldur Indridason, "Le roi et l'horloger " (Métailié)

Portrait de Arnaldur Indridason le 03/04/2022 a Lyon - Photo © Ph. MATSAS / METAILIE

Arnaldur Indridason, "Le roi et l'horloger " (Métailié)

Le roi du polar islandais Arnaldur Indridason met tout son art au service d'un roman historique qui, de Copenhague à son pays d'origine, fait revivre à ses personnages un passé qui ne passe pas.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 13.02.2023 à 14h00

Une improbable amitié. « Je m'intéresse à ceux qui sont confrontés à la perte », déclarait Arnaldur Indridason dans une interview en 2008. Ces personnages aux basques desquels collent des squelettes hantent la plupart de ses ouvrages, de la célèbre série du commissaire Erlendur Sveinsson aux romans indépendants, dont Le roi et l'horloger est la dernière perle. Histoire d'amitié entre deux hommes qui n'étaient pas destinés à se rencontrer et moins encore à s'entendre, le récit débute dans les réserves du palais de Christiansborg à Copenhague, où, entre armoiries et anciennes cages à faucons, l'un tente de restaurer une horloge prodigieuse, « Graal relevant de la magie, plutôt que [...] création humaine », et l'autre vient cuver son vin de Madère. Considéré comme fou, « dépossédé de toute autorité dans son royaume, et ce, depuis bien longtemps », le roi Christian VII tombe un soir, « sans perruque et le visage sans fard », sur Jon Sivertsen, brillant horloger venu d'Islande. Un dialogue s'initie, et « c'est ainsi que Jon Sivertsen, nom de famille qu'il avait pris au Danemark bien qu'originaire du Breidafjördur, dans l'Ouest de l'Islande, était devenu l'horloger personnel du roi et s'était vu confier la tâche de remettre en état la sublime horloge ».

Au fil d'échanges mâtinés d'incompréhensions et de fantômes, le roi et l'horloger se découvrent un funeste lien voulant que le père de Jon ait été décapité pour « fornication » et « imposture », et sa gouvernante noyée, sur ordre du père de Christian VII, « roi de Danemark, de Norvège, d'Islande, du Groenland et des îles Féroé, maître du Schleswig-Holstein et autres lieux lointains ». Une condamnation prononcée à une époque où, en tant que colonie danoise, l'Islande est administrée par des représentants de la Couronne profitant de certaines lois (dont celles punissant les adultères de la peine de mort) pour s'approprier les biens des condamnés. Bravant l'autorité royale, l'horloger déroule l'histoire de son père et de la femme qu'il a aimée, convaincu de leur innocence. D'abord agacé par l'insubordination de son sujet, Christian VII en vient peu à peu à questionner le pouvoir s'exerçant en son nom dans des provinces de son royaume où il n'a jamais mis les pieds, tandis que l'intimité qu'il noue avec le roi attire des menaces à Jon. « J'espère pour toi que tu ne tentes pas d'influencer le roi, prévint le chambellan. Des hommes d'un rang plus élevé que toi s'y sont essayés et l'ont payé de leur tête. »

En marionnettiste habile à dérouler une intrigue contemporaine aussi bien qu'historique, Arnaldur Indridason entraîne son lecteur au cœur d'un XVIIIe siècle qu'il n'a pas l'habitude de lire, des réserves d'un palais-prison aux confins d'une Islande sauvage où ses deux protagonistes partent sur les traces de leur passé. Épique, haletant, Le roi et l'horloger oscille entre roman à suspense et conte cruel aux notes universelles, mettant en scène deux hommes qui, malgré tout ce qui les éloigne, finissent par se rapprocher.

Arnaldur Indridason
Le roi et l'horloger Traduit de l’islandais par Éric Boury
Métailié
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 320 p.
ISBN: 9791022612418

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