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Aux éditions de l’Archipel, la première biographie de Stephan Eicher, l’« Helvète underground »

Stephan Eicher, en 2015 - Photo DANIEL KARMANN / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

Aux éditions de l’Archipel, la première biographie de Stephan Eicher, l’« Helvète underground »

Sébastien Bataille signe aux éditions de l’Archipel la toute première biographie consacrée à Stephan Eicher. Incontournable pour saisir les multiples facettes du chanteur suisse.

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Par Charles Knappek
Créé le 12.06.2025 à 19h00

Depuis ses débuts en 1980 et même avant, Stephan Eicher a vécu 1000 vies, pour reprendre le titre de l’un de ses albums, sorti en 1996. Pas son meilleur, tacle au passage – qui aime bien châtie bien – son intransigeant premier biographe Sébastien Bataille.

Premier biographe ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’interprète de Déjeuner en paix, qui soufflera en août ses 65 bougies, n’avait encore jamais vu sa vie mise en récit. Dans son ouvrage de près de 300 pages qui paraît à l’Archipel ce jeudi 12 juin et sobrement intitulé Stephan Eicher, Sébastien Bataille répare l’impair.

L’ancien journaliste de Rolling Stone, déjà auteur de plusieurs biographies musicales (Indochine, Téléphone, Jean-Louis Murat, Hubert-Félix Thiéfaine…) retrace avec brio le parcours de l’« Helvète underground », proposant une plongée dans l’univers de cet artiste unique, « électron libre, sans frontières, ni linguistiques ni musicales ».

« Eichermania »

Stephan Eicher dont les disques se sont vendus à plusieurs millions d’exemplaires – on parlait bien d’« Eichermania » au début des années 1990 quand parurent les albums cultes Engelberg (1991) et Carcassonne (1993) –, a connu soudainement, et brièvement, l’immense notoriété. Depuis, éloigné du star system et souvent sur les routes avec sa petite troupe de musiciens, il poursuit plus discrètement une carrière toujours ponctuée de pépites musicales à l’occasion de chacun de ses nouveaux albums.

Guère porté à la confidence, il n’a pas répondu aux sollicitations de Sébastien Bataille. « Il n’était pas à l’aise avec l’idée de se raconter », nous confie l’auteur, qui a donc méthodiquement collecté les matériaux disponibles, exhumant quantité d’articles et d’interviews, interrogeant également plusieurs membres de l’entourage, dont le manager Alain Lahana ou le batteur Manu Katché.

Nomade par nature

De cette longue enquête ressort le portrait d’un homme profondément artiste, s’accommodant plutôt mal de la notoriété et qui aura toujours placé la musique au centre de sa vie. L’Helvète avait de qui tenir : sa naissance en 1960 dans une famille multilingue nourrie d’influences yéniches, juives et protestantes, le prédispose au mouvement. Nomade autant par nature que par culture, le natif de Münchenbuchsee, petite ville de Suisse alémanique à quelques kilomètres de Berne, est un élève passable, volontiers fugueur qui se nourrit de Bach et des œuvres d’Hermann Hesse et Rainer Maria Rilke. S’il est très jeune fasciné par Patti Smith, c’est dans les bras de sa professeure de dessin, avec laquelle il noue une relation « scandaleuse » à l’âge de 17 ans qu’il trouve une première forme d’épanouissement.

La déflagration Engelberg

L’obsession pour la musique est déjà là, ainsi que pour les boîtes à rythme et les ordinateurs. Riche en anecdotes et très bien sourcé, le livre balaie le cheminement d’Eicher, de ses débuts sur la scène underground suisse avec les Noise Boys puis dans le groupe de son frère Martin, Grauzone (« Zone grise » en allemand), jusqu’à ses premiers pas dans le pop-rock avec l’album Les Chansons bleues en 1983. Suivront I Tell This Night (1985), Silence (1987) et My Place (1989), avant la déflagration Engelberg en 1991... Chaque album est passé au crible, critiqué, jugé par un Sébastien Bataille sans concession. L’occasion pour le lecteur de (re)découvrir quantité de pépites méconnues.

Tombés en amitié avec Philippe Djian

La carrière de Stephan Eicher est aussi jalonnée d’amitiés heureuses. On y croise son mentor Martin Hess qui lui ouvre les portes de la profession et l’initie à la littérature, le producteur Philippe Constantin qui le prend sous son aile chez Barclay, mais aussi Antoine de Caunes, compagnon fidèle et admirateur sincère à qui il doit la rencontre décisive en 1989 avec Philippe Djian. L’écrivain à succès, auréolé de l’adaptation au cinéma de son best-seller 37°2 le matin (Bernard Barrault, 1985), n’écrira de chansons que pour le Suisse. Déjeuner en paix ? c’est lui bien sûr. Mais aussi Pas d’ami comme toi ; Des hauts et des bas ; Rivière ; Sans remords ni regrets

« Tombés en amitié », Eicher et Djian ont à leur actif des dizaines de chansons – l’écrivain aux paroles, l’interprète à la composition, dont de nombreux tubes. Eicher en offrira même une à Johnny Hallyday en 2002, Ne reviens pas, sur l’album À la vie à la mort.

« Je crois que le diable existe : c’est le divertissement »

La maturité venant, Stephan Eicher « ne court plus après le tube », lui qui exerce dorénavant son métier en « artisan consciencieux », enchaînant les concerts et les seuls en scène. Un revirement, une lente mutation plutôt, encore accentuée par le combat judiciaire qu'il a mené dans les années 2010 contre Universal, qu’il accusait de trop peu le rémunérer.

Le chanteur, qui considère aujourd’hui que les revenus versés aux artistes par les plateformes de streaming sont dérisoires, pose aussi un regard critique sur les nouvelles technologies : « Je crois que le diable existe : c’est le divertissement. En 2007, quand Steve Jobs est monté sur scène avec son iPhone à la main pour nous faciliter la vie – "Elle va être plus agréable, plus facile" –, le vrai diable, c’était ça », confiait-il à L’Illustré en 2023.

Artiste avant tout, Stephan Eicher sait que les prochaines pages de sa vie d'artiste s'écriront sur scène, au contact d'un public qui le suit depuis plus de 40 ans.

Stephan Eicher, de Sébastien Bataille (l'Archipel). 294 p., 22 euros. Paru le 12 juin 2025. Tirage : 3 200 exemplaires

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