4 novembre > Essai Italie > Raffaele Simone

On sait le mot attribué à Churchill à propos de la démocratie : "le pire des régimes à l’exception de tous les autres". Le héros de la résistance démocratique face au nazisme était fort conscient de l’imperfection d’un gouvernement par le peuple et pour le peuple. Il suffit de parler cinq minutes avec un électeur moyen, disait-il encore. A l’heure de la mondialisation et des autoroutes de l’information, du règne des médias et d’un Zeitgeist contestataire global (Occupy aux Etats-Unis, Indignados en Espagne, Nuit debout en France, etc.), le scepticisme s’est accru. Il y a quelque chose de pourri dans l’état de la démocratie. Dysfonctionnement de la représentativité (des élus cachés derrière des "partis-barrières" qui plaquent sur le réel une logique partidaire), malaise dans les corps intermédiaires (désaffection vis-à-vis des syndicats), creusement des inégalités (collusion entre cercle du pouvoir et hautes sphères des affaires, pressions migratoires, déclassement), mais aussi refus de "la base" d’obéir à quelque forme que ce soit d’autorité (populisme, antiélitisme, "mouvementisme")… Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a bogué ? s’interroge Raffaele Simone dans son nouvel essai Si la démocratie fait faillite. Le linguiste italien rappelle tout d’abord que la démocratie, avant même d’appliquer ses principes, requiert une adhésion. Il faut de la croyance aux principes mêmes - l’auteur du Monstre doux : l’Occident vire-t-il à droite ? (Gallimard, "Le Débat", 2010) les appellent des "principes-fictions" : la liberté de chacun de penser et d’agir dans les limites du respect d’autrui, l’égalité devant la loi, la souveraineté du peuple, la majorité comme détentrice de la raison - vox populi, vox dei. La condition sine qua non de toute démocratie digne de ce nom, c’est le vote. Et l’un des premiers articles de cette foi démocratique est la représentation, équivalent selon Raffaele Simone du mystère catholique de la transsubstantiation : à l’instar de la chair et du sang du Christ qui se changent en pain et en vin pendant l’eucharistie, l’élu est l’incarnation de la volonté du peuple. On voit aujourd’hui les records d’abstention dans les pays démocratiques : c’est la frustration créée par l’écart entre l’idéal et le réel qui est au départ. "Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l’égalité sans jamais pouvoir la satisfaire entièrement", notait déjà Tocqueville.

Convoquant les penseurs politiques classiques (Montesquieu, Rousseau, John Stuart Mill) et les contemporains (Hans Kelsen, Joseph Schumpeter, Luciano Canfora, Norberto Bobbio, Robert A. Dahl), Raffaele Simone dresse un diagnostic percutant, faute d’être réjouissant, et pointe les défis de "la fée démocratique". Sean J. Rose

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