Avant-critique Roman

Billy O'Callaghan, "Parfois le silence est une prière" (Bourgois)

Billy O'Callaghan - Photo © DR/Bourgois

Billy O'Callaghan, "Parfois le silence est une prière" (Bourgois)

Billy O'Callaghan s'est inspiré de l'histoire de sa famille pour écrire ce beau et douloureux roman ancré en Irlande.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 17.05.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 01.06.2023 à 17h25

D'Irlande et d'ailleurs. Un homme boit, assis dans un pub. Sa sœur Mamie est morte et sera enterrée dans les heures qui suivent. Des policiers se présentent à lui, pour l'empêcher de commettre l'irréparable. Car Jer est persuadé que Spillane, l'époux de la défunte, l'a tuée à force de boire. Le récit s'ouvre en Irlande, en 1920. Vétéran de la première guerre mondiale, Jer a vécu la bataille de la Somme et s'est reconstruit grâce à Mary, une fille « beaucoup trop bien » pour lui devenue la mère de ses six enfants. Leur maison est toujours animée, et après une journée à labourer ou moissonner Jer « savoure la douleur » dans ses bras et dans son dos, preuve qu'il est toujours en vie. Du moins le croit-il jusqu'à ce que Mamie s'éteigne, d'une pleurésie dit-on. Mais lui sait les dettes, les enfants obligés de se passer de repas et la main levée « non pas telle une vague menace mais avec l'intention de la mettre à exécution ». « Ma sœur est morte. Ma chair et mon sang. J'ai croisé la mort bien des fois au cours de ma vie, mais aujourd'hui c'est différent. J'éprouve la sensation étrange et pourtant réelle que je suis en train de disparaître. »

L'écrivain irlandais Billy O'Callaghan déploie l'histoire, sur près d'un siècle, d'une famille inspirée de la sienne, de sa branche « illégitime » qui a vu naître deux enfants hors mariage. Divisé en trois parties, le livre suit d'abord Jer puis remonte le temps, au moment où la mère de Jer, Nancy, rencontre l'homme qui les a abandonnés. Seule rescapée d'une famille décimée par la famine, Nancy quitte Clear Island pour la ville de Cork où elle est embauchée comme domestique dans une grande maison. Là, elle rencontre Michael Egan, jardinier, et entame avec lui une relation, ignorant qu'il est déjà marié. Combien de jeunes filles livrées à elles-mêmes ont-elles connu le même sort que Nancy ? Enceinte, la voici renvoyée et contrainte de faire « des choses honteuses » pour subvenir aux besoins de son nourrisson. Après avoir revu Michael Egan, un deuxième bébé voit le jour.

Si les deux enfants (Jer et Mamie) survivent, la troisième partie du livre comprend une scène terrible dans laquelle un prêtre refuse l'inhumation d'un enfant mort sans avoir été baptisé. Dénonçant l'hypocrisie des hommes et ce qu'une foi aveugle est capable de les pousser à faire, Parfois le silence est une prière dresse le portrait accablant d'une société engoncée dans une morale qui lui fait perdre toute humanité. Au cœur du récit, la figure d'une femme, Nancy, qui n'aura « vécu une seule journée de sa vie d'adulte pour elle », contrainte, après le décès de sa fille, de suivre son gendre en Angleterre pour veiller à l'éducation de ses petits-enfants. Si les hommes ont rarement le beau rôle dans cette histoire, Billy O'Callaghan n'en fait pas pour autant les parangons d'une lâcheté qu'incarnent bien davantage ceux qui, sous couvert de foi ou de moralité, trahissent leur charge. Sombre, mélancolique, ce beau roman n'en est pas moins parcouru par des élans d'humanité propres à faire jaillir la lumière des ténèbres.

Billy O'Callaghan
Parfois le silence est une prière Traduit de l'anglais (Irlande) par Carine Chichereau
Bourgois
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 288 p.
ISBN: 9782267050981

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