Camille Riquier, "Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre" (Gallimard) : Descartes sous Sartre

Camille Riquier - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Camille Riquier, "Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre" (Gallimard) : Descartes sous Sartre

Et si sous le masque de l'existentialisme se cachait Descartes ? C'est l'hypothèse du bel essai du philosophe Camille Riquier.

J’achète l’article 1.5 €

Par Laurent Lemire
Créé le 15.04.2022 à 16h00

« Sartre ne porterait-il pas de meilleurs fruits à être envisagé en cartésien véritable plutôt qu'en mauvais interprète de Heidegger ? » La phrase qui ouvre la deuxième partie de cet essai a le mérite de la clarté. Car en ayant mal compris les doctrines du philosophe allemand, l'auteur de L'être et le néant se retrouve proche du penseur français. Bien mieux, Camille Riquier explique que Sartre ne rêvait que de réécrire les Méditations métaphysiques. C'était son secret. L'existentialisme, c'était pour la galerie, car au fond Sartre n'aurait cessé de vouloir construire une morale sans parvenir à ses fins.

Camille Riquier (faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris) lève un coin du voile en interrogeant l'œuvre de Sartre. Il prend, comme il le dit, l'auteur des Mots aux mots. Mais surtout, il montre bien dans la première partie de cet essai, tiré de son habilitation à diriger des recherches, combien l'auteur du Discours de la méthode est à l'origine d'une philosophie française, cette philosophie française à laquelle Sartre se rattache tout en voulant montrer le contraire. Bien mieux, Camille Riquier distingue dans les deux courants de la pensée sartrienne celui qui est le plus enfoui, donc le plus profond dans les deux sens du terme, c'est-à-dire caché et intense. « Ma seule affaire était de me sauver. » D'accord, mais Sartre fut rattrapé par ce qu'il cherchait à fuir, son cogito, son moi. Il a bâti son œuvre en croyant se découvrir. En fait, il se cachait, ou plutôt il cachait celui qu'il voulait être vraiment, un moraliste dans la plus pure tradition française. « En l'absence de Dieu, Sartre a ainsi vécu "sous le soleil de Satan" et dans l'attente qu' "un nouveau soleil se lève". » Ce retour à Descartes, il le fait dans une période particulière pour la liberté, sous l'Occupation, L'être et le néant paraissant en 1943. Descartes est pour lui « un penseur à explosions » et il a besoin de cette dynamite-là pour se façonner une morale dont il avait fait pourtant table rase dans La nausée (1938) à travers le personnage de Roquentin. Camille Riquier le montre « cartésien au sens le plus fort qu'il soit possible », notamment dans sa conception de la liberté.

« Descartes était le miroir admirable dans lequel Sartre flattait son orgueil en y projetant le récit de sa gloire future d'écrivain à qui l'immortalité sera offerte. » Cette étude qui puise dans tous les interstices de l'œuvre nous montre comment Sartre a été poussé à ne pas être un nouveau Descartes. Sartre a échoué, mais on comprend mieux le sens de cet échec profond, bouleversant, magistral, tout comme on saisit davantage le sens de la formule « l'enfer c'est les autres ». Si les autres sont infernaux, c'est parce qu'ils nous obligent à nous connaître, à nous poser des questions. Ils nous gênent parce qu'ils sont importants. Camille Riquier nous invite ainsi à relire Sartre comme un penseur qui s'est choisi dans son siècle tout comme Descartes l'avait fait dans le sien.

Camille Riquier
Métamorphose de Descartes : le secret de Sartre
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 22 € ; 336 p.
ISBN: 9782072900327

Les dernières
actualités