Avant-critique Récit

Sarah Bouasse, "Par le bout du nez. Une histoire intime des odeurs" (Calmann-Lévy)

Sarah Bouasse - Photo © Lucie Sassiat

Sarah Bouasse, "Par le bout du nez. Une histoire intime des odeurs" (Calmann-Lévy)

Journaliste spécialisée dans les odeurs et les parfums, Sarah Bouasse nous invite à une véritable révolution olfactive et poétique.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 11.05.2024 à 11h00

Au pif. Les premiers souvenirs d'odeurs de Sarah Bouasse, « petite citadine » née dans le XIXe arrondissement de Paris, sont associés à la campagne : la maison de famille en Auvergne, le chien du voisin après la pluie. Et puis, enfant, il y a ce flacon de Jicky, le précieux parfum de chez Guerlain, partagé avec son père. Quelques gouttes, comme un signe de reconnaissance et de communion. Ensuite, elle a pris l'habitude de flairer les choses et les gens, et notamment à l'école, ses camarades de toutes les couleurs, origines et odeurs. Sauf les toubabs, qui eux, comme elle, ne « sentent rien ». L'odeur de chacun des « huit milliards d'êtres humants », comme elle écrit joliment, est unique, comme son empreinte génétique ou ses empreintes digitales.

Encore faut-il être capable de sentir, c'est-à-dire d'avoir développé l'odorat, ce sens méconnu, mal aimé, mais ô combien fondamental. La pandémie de Covid l'a démontré à l'envi, avec son cortège d'anosmies, souvent jumelées avec des agueusies (la disparition, plus ou moins longue, du goût). Ce qu'on sait peu, c'est que l'homme, sans pouvoir rivaliser avec l'éléphant (« le plus performant du règne animal ») ni le chien ou le cochon, possède un impressionnant capital de capteurs nasaux, sous-exploité. Ce pourquoi, à la fin de son livre, Sarah Bouasse, journaliste spécialisée dans les odeurs et les parfums, collaboratrice de la revue Nez depuis 2016 et organisatrice d'ateliers olfactifs notamment avec les enfants, nous invite à faire notre éducation olfactive en développant notre odorat, lequel se travaille comme un muscle, comme la mémoire. Elle démontre, statistiques médicales à l'appui, que cette gymnastique nasale serait bonne pour notre santé en général. L'exercice, de surcroît, prendrait une valeur « poétique », car, en termes d'odeurs, tout passe par le langage, l'association d'idées, mais moins aisément que pour la vue ou le goût. Chacun sait ce qu'est le jaune citron, le rouge tomate, le bleu ciel. Chacun distingue le salé, le sucré, l'amer. Mais comment décrire le benjoin, l'ylang-ylang, le musc ? Il faut des comparaisons, des équivalents, ou faire appel à des souvenirs, comme Proust avec sa petite madeleine. Nous revoilà dans l'appartement des grands-parents disparus, chaque senteur évoquant leur présence.

De quelqu'un qu'on n'aime pas, on dit : « Je ne peux pas le sentir » (ou le « blairer », ou le « piffer »). Eh bien, grâce à ce récit essai de Sarah Bouasse, passionnant, élégamment écrit et décomplexé, on va désormais essayer. Le monde ne s'en portera que mieux.

Sarah Bouasse
Par le bout du nez. Une histoire intime des odeurs
Calmann-Lévy
Tirage: 3000 ex.
Prix: 18,50 € ; 216 p.
ISBN: 9782702191620

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